myrzouick

écrire, scénariser et mourir vite...

28/08/2019

prolepse

Tordre la chronologie est aussi un effet de style. Cela ne gène pas la compréhension d'une histoire surtout si c'est bien fait.

En fait, vous savez tous de quoi je parle. Je parle de ces livres/films qui aiment commencer par la fin ou au moins un bout de la fin. Je pourrais vous citer quelques exemples comme Citizen Kane un des premiers ; Forrest Gump c'est pas tout à fait la fin, mais le type raconte son histoire sur un banc ; Fight Club qui commence par la fin aussi, un flingue dans la bouche. Avec une particularité quand même, quand le récit reboucle à ce moment là à la fin de l'histoire le narrateur/héros dit "y a toujours rien qui me vient" alors que la scène du début il dit "y a rien qui me vient" quand Tyler lui demande s'il a un dernier mot à dire... On commence déjà là à tordre la narration et ça fait son petit effet.
Le Prestige de Nolan, comme quoi ; ou même 99FRANCS mais c'est peut-être pas la vraie fin ; Eternal Sunshine of the Spotless Mind que je vous recommande absolument. Là encore le film débute sur la fin du film puis sur le générique (après 20 minutes de film) où Jim Carrey pleure puis sur les souvenir du personnage principal qui sont effacés. Je n'en dis pas plus, c'est excellent. et ça a révolutionné le FlashBack.
Et bien entendu Memento toujours de Nolan qui finalement aime bien commencé par une scène finale mais là c'est toute l'histoire qu'on voit à l'envers et franchement - FRANCHEMENT ! - ça claque !

La fin comme début pour plonger directement le spectateur dans le feu de l'action. Un procédé qui fut révolutionnaire pour ses précurseurs...
En effet, le chemin du héros, immuable quelque soit le héros (j'en ai parlé là par exemple et vous le savez), est parfois long et fastidieux ce qui fait que nous nous attachons au héros (sauf Harry Potter). Nous vivons avec lui ses aventures, nous souffrons avec lui, nous apprenons avec lui.
Le risque donc de commencer par une scène finale ou par un climax nous plonge directement dans l'action, le suspens et non dans l'accompagnement du héros.

chronologie narrative

Une goutte vermillon coule le long de sa joue.
On y est.
Il passe sa main et découvre le sang dans ta paume. D’abord surpris, il est rapidement enjoué et un rictus s’étire sur ses lèvres.
Tu es face à l’homme qui t’a tout pris. Tu es désarmé et épuisé. Torse nu, tu as le corps couvert de cicatrices et le dos courbé par l’effort. Dans chacun de ses yeux brillent la foudre et le feu. Tu déglutis. Le couloir est baigné dans une faible lueur rouge qui projette plus d’ombre que de lumière. Le rictus dessiné sur le visage de ton adversaire est un sourire victorieux et satisfait. Mais tu ne veux pas te rendre sans combattre. Ton poing se serre sur le pommeau de ton épée, le sang bat dans tes tempes.
La fin approche.
Tu cours vers lui. Les dents serrées. Le poing et l’arme levés. Tu cries pour te donner du courage. Si tout doit s’arrêter aujourd’hui, tu ne dois rien regretter. Ils t’ont permis d’y croire. Le monde a déjà changé. On ne l’arrêtera plus.
Mais tu t’en fous. Tu te fous de tout ce qui va arriver. Tu te fous de la puissance, tu te fous du trône et de la richesse. Tu te fous de la mort qui te chasse depuis trop longtemps. Tu te fous du temps qui passe et de la guerre.
Il explose de rire. Il est invulnérable. C’est un dieu.
Pas si tu peux le faire saigner !

C'est par ces simples mots que commencera, je l'espère, mon prochain roman.
Que se passe-t-il ? Qui sont ces deux hommes qui vont se battre ? Le feu et la foudre dans ses yeux. Une goutte de sang. Le personnage principal c'est "toi", en tout cas, je le désigne à la deuxième personne du pluriel. Peu importe qui il est finalement, c'est "toi". Peut-être celui qui lit. Peut-être un autre. Ce "toi" en tout cas est fatigué, abattu mais combatif.
Pourquoi se bat-il ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Quand l'histoire se passe-t-elle ?

Ce climax, ce combat, je ne l'ai pas encore écrit, je ne suis pas du tout arrivé à la fin de mon récit. Et j'aime bien ces figures de style que sont les prolepses et les analepses. Je sais ce qui va conduire à ce combat. Je sais qu'il va arriver. Ce sera la fin de tout. Et je préfère l'annoncer dès le début. Au cinéma, on appelle ça flashforward et flashback.
En gros, ce que je raconte là va arriver. J'envoie le lecteur à la fin de l'histoire. Le comment et le pourquoi seront expliqués sinon ce serait une publicité mensongère
Car si nous captons ainsi mieux l'attention, la promesse au lecteur/spectateur est de lui raconter une histoire cohérente...

Après tout, est-ce qu'on doit toujours tout raconter chronologiquement ?

Conan le Barbare

Ma dernière découverte "récente" en terme de récit est Conan le Barbare de Robert E. Howard... Il se trouve que si vous avez lu Conan avant 2009 vous avez probablement lu des romans classés par ordre chronologique, écrits et complétés par d'autres auteurs.
Mais il y a quinze ans, les éditeurs ont sorti la version "originale" c'est à dire les nouvelles de Howard, dans l'ordre de publication des Weird Tales des années 1930... Et les nouvelles de Conan (aujourd'hui regroupés en 3 tomes aux éditions Bragelonne) ne sont pas écrites dans l'ordre chronologique de la vie de Conan. En effet, la première nouvelle place Conan en roi lassé de gouverné. La deuxième Conan est plus jeune et n'est qu'un simple voleur. Etc. Ainsi, on découvre un barbare qui vadrouille et, comme Howard le disait lui-même, raconte en désordre sa vie comme elle lui vient (l'auteur était persuadé qu'un vrai barbare lui dictait ses aventures). Cela n'en fait pas moins une bonne histoire.

Comment raconter sa vie ? Comment raconter l'histoire ?
Comme Conan ? En parlant de sa lassitude de roi, puis de son coup de génie quand il est voleur ? Sa philosophie de vie aussi qui ne ressemble en rien au quelques 52 mots qu'articule Schwarzie dans le film éponyme.

Sur la divinité :
"Leur chef est Crom. Il demeure sur une grande montagne. À quoi bon l'invoquer ? Que les hommes vivent ou meurent, il s'en moque. Mieux vaut se taire et ne pas attirer son attention sur soi ; car il enverra alors des malédictions, et non la bonne fortune ! Il est cruel et sans amour, mais dès la naissance il insuffle dans l'âme de chaque homme le pouvoir de se battre et de tuer. Que pourraient demander d'autre les hommes aux dieux ?"
Quand on le questionne sur la réalité :
"Je ne cherche pas à savoir ce qu'il y a au-dela de la mort. Ce sont peut-être les ténèbres, comme l'affirment les sceptiques de Némédie, ou bien le royaume de glace et de nuages de Crom, ou encore les plaines enneigées et les salles voutées du Valhalla des peuples du nord. Je l'ignore et cela m'importe peu. Il me suffit de vivre ma vie intensément ; tant que je peux savourer le jus succulent des viandes rouges et le goût des vins capiteux sur mon palais, tant que je peux jouir de l'étreinte ardente de bras à la blancheur d'albâtre et de la folle exultation de la bataille lorsque les lames bleutées s'enflamment et se teinte d'écartlate, je suis satisfait ! Je laisse aux érudits, prêtres et philosophes le soin de méditer sur les questions de réalité et de l'illusion. Je sais une chose : si la vie est une chimère, alors moi aussi j'en suis une ; par conséquent l'illusion est réelle pour moi. Je vis, je brule de l'ardeur de vivre, j'aime, je tue et je suis satisfait."

ça change. Qui croirait qu'un simple barbare parlerait comme ça ? Le personnage est fort, on le comprend, on vit avec lui sans le connaitre. Aucunement il est mentionné dans les premières pages son histoire. D'ailleurs, la plupart du temps, le héros n'apparait même pas dans les premières lignes du récit. C'est un personnage qu'on va chercher, sur lequel on tombe, qui vient soudainement délivrer de jolies femmes de griffes de monstres... Comme un félin in apparait, bondit, disparait. Parfois, il ne fait pas partie de sa propre histoire.
Nous ne savons de lui que ce qu'il laisse paraitre : un homme d'acier aux muscles saillants, solitaire, inadapté, que rien ne semble arrêté... Et peu importe ce qu'il raconte et dans quel sens il le raconte. Nous le connaissons à travers ce qu'il semble faire.

histoire de dire...

Alors ? La chronologie tel que l'on nous l'apprend en primaire : début-milieu-fin est-elle vraiment morte ?
Doit-on aujourd'hui forcément passer par ses figures de style ?
Nous avons commencé à nous passer de la description du héros car c'est devenu plus haletant de l'apprendre par morceau. Mais n'est-ce pas d'ailleurs aujourd'hui comme cela que l'on séduit le plus ? En dévoilant nos atouts peu à peu à la personne que l'on convoite ?
Je ne suis jamais allé vers une fille en disant : "je suis né en 1986, à un an je marchais, à deux ans je parlais presque aussi bien que mon frère (de un an), à trois ans je suis monté sur un toit, à trois ans et demi..."
On commence doucement, on se dévoile peu à peu. Jusqu'à parler de films, de blog, de romans ou de nouvelles. On devient intéressant. On tombe amoureux...
Ma vie n'a de sens que pour tous les instants qui la composent et je préfère raconter plusieurs instants qui ont fait de moi ce que je suis plutôt que dérouler un curiculum si peu intéressant.
Le principal est d'avoir un peu de profondeur, et là je ne parle plus de moi qui suis extrêmement plat, mais de nos héros. Encore une fois, nous n'avons peut-êtyre plus besoin de décrire nos héros. Peut-être sont-ils aujourd'hui, avec toute la culture qui s'amasse des archétypes que nous savons decryter au premier regard. Si nous les faisons assez profond, si nous les aimons, ils séduiront forcément le lecteur...

Hum, Myrzouick (oui j'utilise un pseudo...) ? - Oui lecteur assidu ? - Tu as pourtant dis toi-même qu'il ne fallait pas commencer par la fin dans ton premier article car c'était toujours presque impossible de raccrocher les wagons. - Bien vu !
Mais je parlais là de longues séries de livres ou de films qui échappent au controle des créateurs pour revenir dans les mains du spectateur/lecteur... Je parlais de Héros qui devient d'une trajectoire. Je parlais à ce moment là de personnage qui s'épaississaient à mesure que le temps passait et qui ont été foutu aux chiottes pour rien.
D'ailleurs, j'y reviendrai peut-être à cette question épineuse : à qui appartient une oeuvre ?

Par exemple là, comme je vais publier, vous ne saurez jamais si j'ai décidé de changer la fin de mon article et donc son début mais le tout sera cohérent avec ce que je disais.

épilogue, électeur...

Tordre la chronologie est aussi un effet de style. Cela ne gène pas la compréhension d'une histoire surtout si c'est bien fait.

Pour ce faire, quelques conseils : connaitre ses personnages, connaitre son univers et laisser le tout séduire le lecteur. Je ne prétends aucunement savoir le faire. Mais jusque là, nous avons parlé de diégèse, de héros ainsi que d'histoires dans l'histoire ou meta alors si tout semble cohérent, la chronologie n'a pas forcément besoin d'être respectée.

Seule l'histoire est importante et non la façon dont on la raconte...
D'ailleurs, ne serait-ce pas la solution pour enseigner l'Histoire (avec un grand H) ? La raconter. Et la raconter en commençant par des évènements marquants : "Montre ma tête au peuple elle en vaut la peine..." Danton s'allongea lentement sur la guillotine et serra les dents. Il ferma les yeux un instant. Puis regarda le panier que ses cheveux frolaient. "Le salaud, pensa-t-il..." L'attente était trop longue, sa vie défila sous ses yeux... Qu'est-ce qui avait mal tourné ? TCHAK !

On verra ça une prochaine fois.
A bientôt
Portez-vous bien !

à suivre...

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