myrzouick
écrire, scénariser et mourir vite...
23/08/2019
diégèse
Aujourd'hui, on parle de quoi ? On parle de diégèse. En vrai j'adore ce mot, inventé en 1951 par Etienne Souriau (que je ne connais absolument pas mais qui a l'air de savoir de quoi il parle) qui écrit : "tout ce qui est censé se passer, selon la fiction que présente le film ; tout ce que cette fiction impliquerait si on la supposait vraie..." Cette définition il l'applique au cinéma jusqu'à ce que Gérard Génette l'applique aux romans et que la diégèse devienne donc "l'univers spatio-temporel désigné par le récit"
Pour faire simple, la diégèse c'est l'univers d'une oeuvre en général.
J'imagine que certaines chansons, opéra ou même émission télé ont une diégèse. Les frères Bodgdanov nous parlaient depuis un vaisseau spatial, Ensiferum dans leur Victory Song parle d'une armée viking défaite au pied de leur cité quant au Toreador, il doit prendre garde aux yeux noirs qui le regardent.
En bref, une histoire se déroule dans un univers bien défini dont nous ne voyons pas tout mais dont nous acceptons les règles, les concepts et autres fantaisies.
Peut-être que dans les galaxies lointaines, très lointaines, le son se propage dans l'espace grace à la force...
Un exemple :
The Matrix has you
Dans un futur pas si lointain, les humains sont cultivés par les machines pour qu'elles puissent récupérer leurs énergies électriques. Voilà, ça, ces quelques lignes sont la diégèse de Matrix. On y croit parce qu'on le voit déjà, ça aide, et on sait que des humains vivent dans d'anciens égouts en essayant de libérer certains esprit d'une simulation cognitive qui plonge tous les esprits dans un monde bloqué en 1999 appelé la Matrice et qui canalisent les pensées humaines pour mieux les contrôler.
Voilà on l'accepte.
Ou non, hein, je sais qu'il existe encore des gens hermétique aux films des soeurs Wachowski.
Les suites et les épisodes animés Animatrix nous en apprenne plus sur les sorts des humains qui ne sont plus des rats d'égouts nomades mais qui ont une ville proche du centre de la Terre et que les machines veulent détruire de manière cyclique.
Encore mieux, on apprend que Néo n'est pas le premier élu qu'ils ont été plusieurs avant lui et - Bullshit ! et qu'il n'ait qu'un moyen de contrôler les survivants de Zion (la ville humaine).
Un univers cohérent, avec pourtant des courses poursuites, du kung-fu, des gunfight, des effets spectaculaire, des trucs informatiques, et bien sûr une redécouverte du mythe de la Caverne de Platon et toute la philosophie de contrôle qui va avec.
puisqu'on parle de Matrix
Matrix est pour finir un film qui laisse place à l'interprétation et d'ailleurs, jamais les soeurs Wachowski n'ont affirmé ou confirmé les théories des fans. Combien y a-t-il eu d'élu ? Pourquoi Neo y arrive ? Pourquoi l'architecte demande combien de temps la paix va durer "cette fois" ? A chaque fois que je revois Matrix je redécouvre des théories et ce depuis les années 2000 !
Je comprends mieux aujourd'hui qu'il faut des rebelles, que ces rebelles sont un moyen de contrôle en plus car ceux qui veulent faire un choix sont libres. Que la plupart des humains choisissent d'être esclaves. Etc.
Mais attardons nous plutôt sur la relation amoureuse Neo/Trinity... Parce que j'adore ça et que je me retrouve devant un phénomène bien connu : les faux prophètes manipulateurs...
Le mieux pour suivre c'est que vous ayez vu Matrix, mais surtout si c'est pas le cas, faite le, sinon, je vais résumé un tout petit peu...
Comme je le disais, les humains choisissent d'être libres ou non. Ce choix a été inclu par l'Oracle (un ancien programme de la Matrice) après la troisième version de la simulation. En gros, la première version est le paradis, les humains n'en veulent pas. La deuxième version est un monde imparfait, les humains le rejettent. La troisième version est le même monde mais si les humains peuvent choisir d'être dedans ou non, ils l'acceptent en grande majorité et le peu qui sort est traqué, puis détruit.
Ce concept de choix est donc amené par l'Oracle qui ensuite fait des prophéties.
Et je me méfie des prophéties. Les Oracles forgent-ils les destinées au lieu de les deviner ? C'est ce que je crois aujourd'hui. Si les parents d'Oedipe ne l'avait consulté (l'Oracle de Delphes) ils n'auraient pas attaché leur fils par les pieds pour l'abandonner. En effet, leur fils devait tuer le père et se marier avec la mère...
Recueilli par des parents adoptif, Oedipe adulte consulte l'Oracle et, après avoir entendu la même prophétie, décide de fuir pour protéger son père et sa mère adoptif, mais ça il ne le sait pas. Enfin vous connaissez l'histoire. Il tue son père après un accrochage de char, vainc la sphynge de Thèbes et obtient sa récompense, la main de la reine veuve... Sa vraie mère...
Mon propos, si l'Oracle n'avait rien dit à personne, Oedipe qui est un garçon raisonnable aurait été prince de Thèbes et voilà.
L'Oracle de Matrix qui a vu 5 fois la Matrice et Zion être rechargée (Reloaded) décide de truquer le jeu. D'ailleurs, elle le dit à Néo dès le premier épisode, si elle n'avait rien dit, il n'aurait probablement pas cassé le vase.
Elle dit donc à Neo ce qu'il veut entendre, qu'il n'est pas l'élu, mais ce n'est pas le plus important. Elle dit à Trinity qu'elle tombera amoureuse de l'élu. Et bien qu'elle doute de Neo car elle n'est pas amoureuse. Sa force, son courage qui se révèle après la scène du Bullet Time a raison de ses sentiments. Trinity tombe donc amoureuse de l'élu.
Le simple fait de l'avoir suggéré à Trinity fait que l'idée tourne dans sa tête. Vous savez ce que c'est. Quand on vous dit de ne pas penser à la couleur rouge, forcément vous y pensez. Dans tous les cas, si l'oracle n'avait rien dit Trinity n'y penserait pas. Si elle n'y pense pas, Neo et elle ne tombent pas amoureux et il ne choisit pas l'amour plutôt que l'humanité.
Zion est détruite.
Et c'est la le génie de l'Oracle, elle arrive à détourner l'élu de sa fonction principale. Tout ce que dit l'architecte est donc vrai.
Pour finir l'Oracle se sacrifie pour pour rendre Smith si fort que les machines sont obligées d'utiliser Néo pour combattre. Combattre par amour, pour se venger, parce qu'il le doit... Le chemin du Héros est parsemé d'embuche, comme nous le voyons depuis plusieurs semaines déjà.
Comment a-t-elle réussi à récupérer Smith ? j'imagine qu'elle y est pour quelque chose vis à vis de son refus de se faire rebooter. On voit bien qu'elle travaille un peu avec l'Homme du Train ou le Mérovingien puisque c'est elle qui récupère la petite aux cookies... Elle joue un jeu dangereux mais finalement réussi.
De la à dire que Matrix n'est qu'une grande histoire d'amour il n'y a qu'un pas que bien sûr je ne franchirai pas.
Mais c'est bien l'amour qui sauve la Matrice et qui fait naitre cette paix entre machines et humains. Première paix depuis la guerre déclenchée par les humains dans les années 2000.
Neo devient l'élu donc Trinity l'aime, Trinity commence à l'aimer car il est l'élu... à vous de voir.
putain je m'égare encore...
Et j'ai du perdre tous les réfractaires à Matrix en cours de route
- Parce que tu crois qu'il y a des gens qui lisent ton blog ?
- Ta gueule.
diégèse, dis moi tout
L'autre diégèse plus impressionnante est celle de Speed Racer... Un univers entier basé sur le manga éponyme et surtout basé sur une humanité dont tout tourne autour de la course automobile ! La preuve : les voitures ont une place tellement importantes qu'elles ont une place dans le salon comme n'importe quel membre de la famille.
Ces voitures ont aussi une sorte d'ame et il faut l'écouter.
Les Wachowski nous propose alors un univers cohérent aux couleurs criardes et aux effets live-manga excellents
La diégèse est donc la base de tout et le début d'une histoire.
Attention, ce n'est que le début de l'histoire. Il ne confondez pas un univers complet, créé avec passion avec une histoire, comme James Cameron par exemple. Avatar est un univers très cohérent, visuellement bluffant, avec des règles bien définies. Mais si le réalisateur a passé du temps à faire de sa diégèse un univers crédible il a oublié de payer les scénaristes qui ont juste faire une repompe de Pocahontas.
Quand on écrit une oeuvre, le pacte qu'on passe avec nos lecteurs/spectateurs c'est qu'ils croient à notre récit tant qu'il est vraisemblable. Pour que notre récit soit crédible, il a besoin de se situer dans un univers cohérent. Nous acceptons Tolkien et sa terre du Milieu, Pratchett et son disque-monde, même Star Wars se passe dans une galaxie lointaine traversée par La Force qui nous entoure et nous pénètre.
On accepte les archétypes qui découlent de chaque univers que nous traversons par la lecture ou le visionnage d'un film ou série. Les érudits de Lovecraft deviennent fous quand Cthulhu s'introduit dans leur rêves. Nous acceptons Goldorak, Eyeshield et Spawn car tous sont crédibles dans leur univers de base.
Voilà ce qu'implique ce fameux mot : Diégèse
Ce que j'aime aussi ce sont tous les néologismes qui ont du être inventés pour compléter cette notion. par exemple, un narrateur omniscient qui raconte l'histoire se place au-dessus de l'univers. Il est devient donc un acteur extradiégétique.
Simple.
Mais quand le narrateur est lui-même un personnage qui raconte une histoire. Il devient métadiégétique. On joue alors avec le spectateur, à la manière d'un House of Cards par exemple où le bris du quatrième mur nous amène ce niveau méta que j'apprécie tant (on en parlait là)
Tout ce qui se passe dans l'oeuvre est donc diégétique (ou intradiégétique).
Pour jouer avec nous, découvrez sans plus attendre Baby Driver de Edgar Wright (déjà génialissime réalisateur de Shaun of the Dead, Hot Fuzz, le Dernier Pub avant la fin du monde et bien sur l'incontournable Scott Pilgrim).
Et l'importance de la musique dans le films. Quand les premières notes résonnent dans un film, souvent la musique est extradiégétique, le spectateur l'entends mais pas les personnages du film.
Quand ceux-ci l'entendent la musique est donc intradiégétique. Souvent c'est le héros qui écoute la radio, la musique commence donc souvent avec un filtre passe-haut pour imiter la radio.
Dans le cas de Baby Driver, la musique est intradiégétique, le héros l'écoute dans son casque et résonne aussi dans la salle et toutes les actions sont chorégraphiées en rythme ! C'est donc une musique extradiégétique (rajoutée en post prod). La musique est utilisée comme un personnage a part entière. J'adore !
épilogue, épicyème...
Une histoire donc, commence dans un univers cohérent. Qu'il soit fantasmé, teinté de réel, ancré dans le réel. Une bonne histoire nécessite un univers crédible.
Dans la mythologie grecque, la diégèse était simple : monde réel + dieux pervers. Une fois qu'on avait admis ça, tout était possible, même un type mi-taureau mi-homme.
Vous l'aurez compris un univers, un héros, un méchant et l'histoire est complète.
Si vous voulez écrire (le mec se permet de donner des conseils, lol) vous n'avez pas à inventer tout un monde. Juste respecter les règles que vous avez inventés au début.
Un dernier exemple et je vais me coucher : Star Wars : La Menace Fantome. Jusqu'à la sortie de ce film l'univers était assez simple. Des vaisseaux spatiaux, des combats, un empire contre une résistance rebelle et la Force une religion/foi/spiritualité, une énergie vitale/chamanique/divine on ne sait pas trop
Et en racontant les début d'Anakin, l'auteur invente les midichloriens, des sortes de capteurs intracellulaires à l'instar des chloroplaste des plantes vertes qui "véhiculeraient" plus ou moins la force.
Un détail vous diront certains.... Mais un détail qui remet en doute tout le fondement de la force comme d'une "Force" mystique justement... Un détail, mais un détail complètement incohérent avec toute la diégèse de Star Wars.
Le film a beau être bourré de défauts, il a une démarche qui, de plus en plus réhabilitée aujourd'hui, surtout depuis le encore plus clivant Star Wars VIII, est singulière et aurait pu être assez intéressante. Mais cette simple histoire des midichloriens casse un peu tout ce coté religieux. Tous les films Star Wars ont des défauts mais aucun n'avait jusque là contourner cette règle avant. Voilà comment casser cette image mystique de la Force et donc briser l'univers (la diégèse) en entier. Dommage.
Je vais trop loin pour un épilogue, donc je finirai simplement par dire quand on veut écrire une histoire, poser les bases d'une diégèse cohérente est aussi importante que trouver des personnages...
Respecter ses écrits, respecter ses personnages. La clé doit être là. Forcément.
L'un ne va pas sans l'autre.
à suivre...