myrzouick
écrire, scénariser et mourir vite...
03/09/2019
à qui appartenir ?
A qui appartient l'univers d'une fiction, la diégèse ? A qui appartiennent les héros, et même l'incarnation des héros ! Vous nous direz probablement aux majors, aux producteurs, aux marketeux qui vendent les figurines. Et en ça Georges Lucas n'est pas pire que Disney sur plein d'aspects du commerce qu'ils font de leurs films. Bref. Je pose la question, et je prends l'exemple de Disney et Star Wars, car ce n'est pas anodin...
On peut toujours dire que Disney est un empire maléfique là pour vendre des jouets, mais rien de ce qui est sorti en objets collectors (ou non) Star Wars n'avait pas été approuvé avant par Lucas. Alors à qui appartient vraiment une oeuvre (qu'elle soit commerciale ou non) ?
Alors, à qui appartient une oeuvre ?
Déjà différencions peut-être dans le cinéma, le cinéma américain, où le producteur demande un produit à son réalisateur, obligeant plusieurs réalisateurs à devenir eux-mêmes producteurs (voir des acteurs qui deviennent producteurs pour pouvoir avoir une main mise sur les films dans lesquels ils jouent, Tom Cruise par exemple) et le cinéma français où l'auteur d'un film est le réalisateur. Dans les deux cas, les scénaristes pondent un scénario et cela fait d'eux les propriétaires de l'histoire. Des dialoguistes (voir des scripts doctors) insèrent de meilleures vannes, de plus longues tirades (saurez vous reconnaitre les lignes écrites par Tarantino dans Rock). Le chef opérateur possèdent l'image et la lumière du film, tiens d'ailleurs j'ai lu que celui de Justice League avait pleuré en voyant le film au cinéma tant son travail avec Snyder avait été démoli par Whedon, ce qui me fait dire qu'il se sentait d'une certaine façon père du film. (Je ne suis moi pas d'accord avec le terme "démoli", j'en ai déjà parlé).
Sinon, vous connaissez un réalisateur de film avec Jim Carrey ? Je veux dire Jim Carrey et ses personnages n'appartiennent qu'à Jim Carrey, le réalisateur de Menteur Menteur par exemple a juste posé sa caméra ? Bon le mec derrière a fait Docteur Patch..., mais pareil, on se souvient surtout de Robin Williams !
Donc a qui appartient un film ?
Pour un livre c'est un peu plus simple, enfin simple... On va dire que l'oeuvre appartient à l'auteur mais que le papier est à l'éditeur. Quoique...
En ce moment, nous réalisons un livre pour enfant avec ma mère... C'est l'histoire d'un petit Barbare qui attrape un oiseau que personne d'autre n'a réussi à capturer. Pourtant, si l'auteur c'est bien moi, sans les dessins de ma mère la petite histoire que j'ai raconté une fois comme ça à mon fils pour l'endormir n'aurait pas de sens et que peu d'intérêt. Alors que les dessins de ma mère l'ont mis en valeur et m'ont obligé à étoffer un peu l'histoire. C'est elle qui a créé l'univers tout autour avec ses dessins, qui a travaillé le design, les couleurs tout... Mais c'est moi l'auteur ?
Souvent dans les films on voit des gens qui ont "l'idée" du siècle et qui veulent la vendre. C'est l'idée qui nous rend propriétaire d'une oeuvre ?
Encore plus fort : pour les adaptations a qui appartient l'oeuvre ? J'aime beaucoup Philip K. Dick et je n'ai pas encore eu le temps de lui rendre hommage ici. Et les adaptations de ses nouvelles en films vont du génial (Blade Runner, Minority Report) au "mouais... si c'était pas K. Dick je ne l'aurais pas acheté" (Next)
en parlant de Philip K. Dick
Comme Robert E. Howard, Philip K. Dick est un auteur qui a commencé sa carrière en écrivant des nouvelles dans des magazines. Il écrivait surtout pour vivre et certaines de ces nouvelles ne faisant que quelques pages sont depuis adapté au cinéma.
Dans la liste des films adaptés de K. Dick on retrouve : Blade Runner, Planète hurlante, Total Recall (deux fois), Paycheck, Minority Report, Passengers, The Man Of High Castle (tiens je vous parlerais un jour d'uchronie), Next, une série à la Black Mirror sur Amazon qui est pas trop mal, Scanner Darkly, l'Agence et j'en oublie très certainement...
Mais à chaque fois, les cinéastes ont pris la nouvelle de base pour en faire ce qu'il voulait. Et ils ont été plus loin que cette simple petite fiction.
Chez Philip K. Dick, les robots ressentent des émotions, la folie côtoient les dieux et en règle générale ce qui parait réel ne l'est pas et ce qui n'est pas réel peut le devenir rendant ainsi floue la frontière entre folie et rêve et paranoïa.
On pourrait donc même se dire qu'il a eu une influence sur Matrix, the Truman Show, l'armée des Douze Singes, voir même Inception ! et presque n'importe quelle oeuvre qui questionne la réalité et les simulacres...
Attendez, on va plus loin... K. Dick s'est peut-être lui-même inspiré d'auteur comme Edgar Allan Poe et H.P. Lovecraft qui eux-mêmes ont du lire du classique comme Homère ou Platon et son fameux mythe de la caverne dont est clairement inspiré Matrix, la boucle est bouclée...
Alors à qui appartient ces oeuvres ? A Platon ? Juste parce qu'on s'en inspire ?
Non bien sûr que non...
Pour en finir avec Philip K. Dick et les autres, ils sont devenus fous ou paranoïaques mais ont inspiré des générations entières avec leur livres. Ces nouvelles, qui aujourd'hui sont adaptées pour mon plus grand plaisir car j'aime voir jusqu'où un réalisateur peut jouer avec ce que l'écrivain n'a pas écrit, sont la preuve qu'une oeuvre n'appartient finalement pas vraiment à celui qui la propose pour la première fois.
Prenons Paycheck par exemple, tiré de la nouvelle La Clause De Salaire. Une nouvelle de 60 pages à tout casser qui devient un film de 1h30 avec Ben Afleck (désolé mais il a la classe en Batman ET en Bruce Wayen - Rien à voir).
Le pitch est simple : un employé travaille sur un projet si secret qu'on lui efface la mémoire, il s'est mis de côté quelques objets du quotidien (un ticket de bus, un foulard dans le livre et un tas d'autres trucs dans le film) et il essaie de comprendre ce qu'il a fait en retournant chez son employeur. Dans le livre, c'est "juste" pour un ticket de loto dans le film il dénonce un complot mondial, mais je n'en dirais pas plus.
Et bah moi j'aime bien ce film. Il est pas génial, y a pas cinquante nouvelles idées de mise en scène par plan, mais c'est un K. Dick et si on gratte un peu (non, ça sert à rien de gratter on nous explique tout) on voit une critique de la politique, une idée de voyage dans le temps, un petit film de SF quoi ! Pas... mais pas non plus...
c'est son appartenance !
Les adaptations s'éloignent, s'étoffent et deviennent d'autres histoire (oui c'est toi que je regarde Le Hobbit - putain, j'ai déjà fait cette vanne sur la page 1 ! - Je suis en boucle). Je ne suis pas spécialement contre ce simple état de fait. Peut-être que justement, ces réalisateurs veulent justement s'approprier l'oeuvre.
D'ailleurs le cinéma américain récompense les meilleurs scénarii adapatés ! C'est à dire que les scénarii tirés de livre sont certes mis à part des scénarii originaux MAIS récompensé quand même (nous en France les deux étaient couplé jusqu'en 2006) d'ailleurs je vous recommande Au revoir là-haut, césar de la meilleure adaptation 2018.
Dans tous les cas cela témoigne du besoin de s'approprier une histoire quelle qu'elle soit.
Petite apparté et tu te reconnaitras : Benjamin Button est biiiiiiien trop long par rapport à la nouvelle de 49 PAGES ! On ne peut pas tout adapter n'importe comment non plus !
Je n'ai pas répondu à la question :
Alors ? A qui qu'elle appartient l'oeuvre ?
Et je dirai même plus : à qui appartient l'univers de l'oeuvre. Et si j'insiste sur cette notion de diégèse c'est pour de bonne raison !
Car si depuis le début je parle d'acteurs qui incarnent un personnage jusqu'à devenir ce personnage. Incarner pour s'approprier les grands de ce monde. Ce sont d'ailleurs souvent ces acteurs qui s'approprient le personnage qui gagnent les récompenses
En vrac : Daniel Day Lewis pour Lincoln, Colin Firth pour George VI, Eddie Redmayne pour Stephen Hawking, Gary Oldman pour Churchill et Rami Malek pour Mercury...
De chefs opérateurs qui illuminent de couleurs ou d'ombres les films.
De réalisateurs qui ont une vision d'un scénario (qu'ils écrivent parfois)
De scénaristes ou d'auteurs qui écrivent l'histoire, celle qui sera contée ou mise en image
De producteurs qui... paient ! Et je comprends (pour avoir déjà joué au producteur dans mes jeunes années) pourquoi ils pensent que le film leur appartient...
Je n'ai pas encore parlé de ceux qui, au-delà de tous ces professionnels du cinéma ou de l'édition, s'approprient parfois jusqu'à en devenir fou l'univers d'un oeuvre.
...
les spectateurs, les lecteurs !
Les fans ! (fan : admirateur zélé, passionné, enthousiaste, vient de fana qui vient lui même de fanatique, mais on dit fan parce que fanatique c'est quand même très mal connoté - connoter : Exprimer par connotation, en indiquant une valeur à un mot en plus de sa signification première).
Alors là, si vous êtes abonnés à Arrêt sur Images vous avez certainement vu cette émission qui parle de comment Hollywood a appris à gérer les fans. Si vous n'êtes pas abonné, venez à la maison je vous montrerai ou mieux : abonnez-vous.
Les Fans se sont appropriés des livres, des films, des univers entiers.
Georges Lucas lui-même a compris qu'il ne pourrait contenir les fans-fiction (bd, court métrage) et a laissé faire tant qu'ils ne feraient pas de l'argent sur sa création.
Il n'avait probablement pas prévu que ces mêmes fans de Star Wars s'approprieraient tellement l'univers qu'ils n'accepteraient pas le changement (soi disant minime) : Han est un mauvais garçon qui tire avant d'être tué ? Ou riposte-t-il ?
Lucas a modifié ses films pour qu'ils ressemblent plus à sa nouvelle trilogie, privant ainsi les fans d'un souvenir, d'une version première qu'ils avaient vu petit. Pire encore, il a modifié sa diégèse avec les midichloriens ! J'en ai déjà parlé là, mais je vais apporter ici quelques précisions.
En introduisant les midichloriens, je comprends ce que Lucas a voulu faire. Il a voulu faire des Jedi de sa prélogie des êtres supérieurs, instruits, presque scientifiques. Connaissants parfaitement les arcanes de la Force. L'age d'or des Jedi se finissant avec l'épisode 3 et le savoir sombrant peu à peu pour que La Force dans la trilogie originale ne soit plus une science mais une sorte de religion.
C'est généralement l'inverse qui arrive. D'abord on croit après on prouve.
Lucas a voulu montrer la décadence d'un ordre tout puissant ou la connaissance se perd...
Mais nous ne l'avons pas pris comme ça. Nous avons vu ça comme une désacralisation de la Force. Car c'en est une, réellement !
Et soyons sérieux, il ne se passe qu'une trentaine d'année tout au plus entre cet ère de savoir et l'age sombre... On peut toujours se dire que ObiWan et Yoda, les deux survivants de l'ordre 66, ne croient pas spécialement en ce "taux de midichloriens" et donc ne l'enseigne pas en tant que tel. Mais cette interprétation nous appartient.
Et là je reboucle sur le sujet principal. Tout ce qui n'est pas écrit dans le film nous appartient comme tout ce qui est écrit.
L'auteur doit créer quelque chose de vraisemblable et en échange on y croit. Et si on y croit, cela nous appartient un peu. C'est pas pour rien qu'on parle de fanatiques. On pense alors aux fanatiques religieux et on pourrait se poser la même question pour Dieu.
A qui appartient-il ? S'il existe...
épilogue épineux...
Georges Lucas est un bon gars.
Sa prélogie redevient même à la mode face à ce que Disney en a fait. Au moins l'épisode 7 reprend l'idée que la Force est une religion et c'est même Han Solo, le type qui n'y croyait pas !
Mais Georges Lucas est un bon gars qui voulait faire des films pour enfant (pour vendre des jouets diront les mauvaises langues).
Des films qui nous ont marqué enfant...
Et des films qu'on aimerait garder tels qu'on les a connus. Et même Lucas le dit. En 1988, il fait aprti de ces réalisateurs qui s'opposent à la colorisation des vieux films en écrivant : People who alter or destroy works of art and our cultural heritage for profit or as an exercise of power are barbarians.
J'hésite à en mettre plus car je ne trouve aucune source vraiment officiel, seulement des sites de fans de Star Wars. mais le mouvement a existé avec notamment Woody Allen et Spielberg !
BREF
Les oeuvres n'appartiennent à personne et à tout le monde. C'est pour ça que c'est aussi difficile de faire des suites, des reboot, des prequels.
L'idée (ou l'envie) qui nait dans l'esprit d'un homme ne lui appartient plus à partir du moment qu'elle est publiée. Surtout avec l'avènement d'internet ou les fans fictions sont légions et où une idée en chasse une autre.
Alors certains diront que Claude François serait ravi que MPokora reprenne ses titres.
Que les fameux 50 shades of Grey n'ont été à la base qu'une fan-fiction hard de Twilight
Que Tolkien n'aurait pas renié les trilogies de Peter Jackson.
Mais finalement peu importe. L'interprétation des films n'appartient qu'à nous, les réponses aux questions en suspens ne sont qu'à nous (sauf que je hais quand l'auteur se sert de ça pour ne pas faire de choix, n'est-ce pas Nolan !!).
Et on peut s'engueuler, ne pas être d'accord, être dégouté par la fin d'une oeuvre. Quelque soit nos réactions, les univers et les héros des oeuvres appartiennent à ceux qui veulent bien les prendre comme ils sont : c'est à dire des univers différents dans des réalités alternatives parlant de choses qui nous touchent plus ou moins.
Même si cela veut dire que nous seront tous forcément déçus par un livre ou un film trop attendu.
Merci à tous et bonsoir !
à suivre...