myrzouick
écrire, scénariser et mourir vite...
03/03/2021
t'as un plan
Il y a des plans qui par leur simplicité - toute relative - ancrent les films dans une sorte de réalité brute.
Quand on regarde un film, quelqu'il soit, on sait qu'on regarde une histoire. On regarde aussi une diégèse qui, je me répète, même si elle est proche de notre propre réalité est forcément différente.
Oui, même dans les films français censé se passer dans notre réalité, c'est une diégèse différente. Qui trouve une place de parking dans Paris du premier coup ?
Et pourtant, certains arrivent à rendre le film plus réaliste.
Mais pour bien comprendre la paradoxe : un plan qui rappelle que l'histoire que l'on voit est filmé devrait être au contraire un plan qui fait sortir de l'histoire.
En effet, si je me dis "wouah ce plan est super classe" quelque part je suis sorti de l'aventure que le film me propose.
Au contraire, ce genre de plan devrait être invisible.
Et pourtant, dans un monde où nous savons tous ce qu'est un film, un réalisateur, un plan et ce qu'il y a derrière (une caméra, une grue, un rail, un drone), rien n'est plus réaliste qu'utiliser tous ces outils dans un monde qui ne les connais pas.
Au lieu de me perdre dans des explications, je vais vous parler d'un plan d'une scène d'un film...
Le Retour du Roi, troisième volet d'une des plus grandes trilogies de tout les temps, le Seigneur des Anneaux.
Plaçons le contexte : Suite à un raid de nuit par des orques, les guerriers du Gondor fuient Osgiliath une ville située sur la grande rivière Anduin, et point stratégique dans la guerre qui oppose le Mordor et Minas Tirith (autrefois appeler Minas Anor, retenez bien Anor, vous retrouverez ce nom dans Dark Souls et c'est pas pour rien).
Alors que les chevaux fuient, les Nazguls chevauchant leur dragons attaquent et fondent sur l'armée en fuite.
Brutaux, en hurlant - un hurlement mélé à une sorte de feulement aigu caractéristique de ces spectres - ils attaquent les hommes du Gondor en les lacérant ou en les attrapant pour les lacher dans les airs...
Le jeune capitaine du Gondor Faramir évite un dragon et désespère d'arriver à la ville. Les champs de Pelennor le séparant de la cité sont vastes.
Soudain apparait Gandalf chevauchant Gripoil.
Est-ce un mirage ? En tout cas, même en 4K, l'image est distordue comme quand on voit des turbulences dans l'air sur une route désertique.
Premier indice : ce premier plan est une annonce, une annonce du plan qui va suivre un peu plus tard. Cette vision mirage de Gandalf, héroïque, prêt à aller affronter les Nazguls pour sauver des hommes valeureux, en utilisant les code du western, commence à nous prouver que ce chateau, ces champs de Pelennor et ce magicien sont réels.
le décor est planté...
Sur les murailles, on regarde Gandalf le blanc. Accompagné de Pippin, un jeune hobbit qui a fait une connerie un peu plus tôt dans le film (je ne vais pas non plus vous raconter tout le film non plus).
Les Nazguls et leurs dragons plongent et massacre les fuyards (y a un wilhelm scream dans cette scène tout ne peut pas être parfait - mais il est moins pire que celui du nain dans la forteresse du Nécromancien dans le Hobbit).
Quand soudain Gandalf lève son baton et le pointe vers ses ennemis. La lumière est si vive, si divine peut-être irréaliste. Il est loin le temps où Gandalf - alors le Gris - devait utiliser une petite pierre pour éclairer les mines de la Moria.
Les Nazguls font demi tour. La lueur est si forte que même les nuages reculent (voyez, j'ai failli écrire "semblent reculer" on en parlait la dernière fois. J'ai encore quelques automatismes qui sont durs à tuer. N'oubliez pas, un auteur doit être sûr de lui).
Pour beaucoup, et j'en fais partie, c'est ce plan qui est magnifique.
Il faut dire, il presque parfait, les proportions, les nuages noirs venant du mordors, les dragons, les chevaux, d'un coté, sur la moitié du plan large.
Gandalf et sa lumière pharesque - pharamineux ? pharaonesque ? - sa puissante lumière de l'autre coté avec le ciel bleu.
Tout ça dans un décor plus vrai que nature composé de plaines et de montagnes néo-zélandaises mis en patchwork.
Un putain de plan.
Un putain de geste aussi. Gandalf est puissant, incroyablement bon et il tient en respect 3 Nazguls !
Ce qui d'ailleurs sera gaché un peu plus tard lorsque Gandalf cédera (comme son baton) face au sorcier d'Angmar, le roi des Nazguls.
Juste un apparté, c'est peut-être le plus gros défaut de ce film !
J'ai déjà parlé du débat que j'avais eu avec Rawash ici, Tolkien a fait des héros purement bons (Aragorn, Legolas, Gimli et Faramir) qui dans le film sont tentés alors qu'ils sont censé être exceptionnel.
Si le doute me plait (et je vous invite à lire pourquoi) c'est une autre scène qui gache mon plaisir à chaque fois que je la vois...
Pour comprendre un peu, sachez que j'ai lu Le Seigneur des Anneaux très tard, et par très tard : en 2002. J'avais 16 ans, et - même si j'ai honte de le dire - j'attendais encore Harry Potter et l'Ordre du Phoenix - livre qui ruinera pour moi à tout jamais l'amour que j'avais pour Harry Potter après les 3 premiers et le quatrième dont je n'avais pas encore compris que c'était le début de la fin...
J'ai donc dévoré le seigneur des anneaux en été 2002, sous ma tente, en Lozère, tous les soirs alors que résonnait du "nu-métal" dans la tente d'à coté.
Ce qui fait que la première B.O du seigneur des anneaux pour moi a été une chanson de Papa Roach que j'aime toujours autant en fait, notamment parce qu'elle me rappelle cet été en Lozère. Bref !
un plan raté
Donc j'ai découvert le Seigneur des Anneaux très tard et au même moment, les "grands" du village nous invitaient (nous les plus petits) dans une caravane pour voir des films ou picoler (je ne reboirai plus JAMAIS de pastis). Et un des "grands", appelons le Rémi, parce qu'en fait c'est son nom avait un dvd : La communauté de l'anneau (un DVD ou un divx pirate ? peu importe).
C'est ce que je lisais !
Et j'ai donc découvert ce film de 3h pour la première fois, en même temps que je lisais le livre et ça m'a happé !
J'ai dévoré le livre comprenant que le film aurait une suite et je voulais savoir. Et j'ai adoré le film ! Parfois, tout est lié ! Et l'univers s'emboite parfaitement.
En parlant d'univers, je vous en parle la prochaine fois, promis !
Donc le seul écart que je ne pardonne pas à Peter Jackson : vient dans le 3eme film.
Encore une fois, j'ai vu le "Vous ne passerez pas !" du premier film alors que je lisais le 3eme livre. Et cette fameuse phrase qui a fait rentrer Gandalf - Sir Ian McKellen - Le Gris dans la légende a un écho dans le 3eme livre. et qui... disparait du Film ou Gandalf désormais le blanc - mais toujours Sir Ian McKellen n'est qu'un vieillard... apeuré (ou presque).
J'ai déjà retranscrit la scène exact dans le deuxième article de mon blog.
Gandalf interdit le roi Angmar l'accès à la cité. Et ne bouge pas, même quand celui-ci dévoile sa couronne.
On ne verra jamais la suite car ils sont interrompus par les cors du Rohan (ça c'est dans les deux oeuvres par contre).
Bon Peter Jackson a déjà prouvé qu'il était fan des écrits de Tolkien puisqu'il réutilise ces textes mêmes s'il met dans la bouche d'autres personnages à d'autres moments.
Bref.
Cette seule déception passée, repassons au dernier plan de la scène de la fuite d'Osgiliath...
Après ce plan magique, magnifique, viens le plan qui pour moi est un des meilleurs plans de ce film.
Un plan de 6 secondes qui, par son apparente simplicité (mais en fait non), ancre le récit dans le réel paradoxalement.
La caméra suit soudainement Gandalf qui dévie sa trajectoire pour prendre la tête de la troupe des cavaliers et foncer avec eux vers Minas Tirith.
Le plan est saccadé, la caméra semble avoir du mal à suivre Gandalf, elle ne le mets jamais au centre de l'écran bien au contraire. Elle tressaute, comme si elle était tenue à la main, montée sur un 4x4 qui suit les chevaux et traverse lui aussi les champs de Pelennor.
Elle tangue, sort les cavaliers du cadres pour filmer la cité blanche et toujours Gandalf.
Fin du plan...
épilogue, épicarpe
Ce plan est paradoxal, je vous le disais en préambule.
D'un coté, comment imaginer qu'un 4x4 puisse suivre Gandalf vers Minas Tirith ?
Il est le seul avec autant de mouvements de toutes la séquence.
Les autres sont des mouvements de caméra fluide, 3D avec des actions et des personnages bien définis.
Le plus beau des plans est un plan fixe de loin et il est bousculé par ce plan que je trouve merveilleux. Il n'est que le prolongement du plan où Gandalf lève le baton mais dur bien plus longtemps.
De l'autre coté, le réalisateur choisi de filmer ce sauvetage comme un documentaire. Il suit le personnage principal comme on suivrait un lion dans la savane, comme on couvrirait une guerre.
Caméra à l'épaule, comme on dit, Peter Jackson, en un plan, ancre son récit dans la réalité.
Parce que si une vraie caméra peut filmer Gandalf c'est qu'il existe bel et bien !
Nous suivons en direct un réalisateur qui suit Gandalf le Blanc sur Gripoil face au Nazgul. Ce n'est plus un film avec des plans léchés et des effets spéciaux hallucinants. C'est Gandalf sur son cheval.
C'est un reportage de guerre, une séquence prise sur le vif.
C'est la réalité sous nos yeux.
En un plan, Peter Jackson nous prouve qu'il a été en terre du Milieu, qu'il a trouvé les Champs de Pelennor et Minas Anor, il nous prouve que la terre du milieu existe.
Ce plan même s'il est bourré lui aussi d'effets numériques est la preuve que le récit que nous livre Tolkien est plus que vraisemblable. Moins léché que le plan précédent, plus brut, plus fort, il m'a marqué rendant possible pour moi l'adaptation du Seigneur des Anneaux sur grand écran...
Paradoxal car pour bien le comprendre et l'appréhender, il faut sortir du film savoir que c'est une histoire filmée par une équipe de cinéma, raconté par des scénaristes et interprétés par de grands acteurs passionnés (et quand on voit les making-of on sait qu'ils l'étaient tous, passionnés).
Pour dire la vérité, je ne m'attendais pas à faire tout un article sur ce simple plan, me voilà donc obligé de trouver une conclusion en rapport avec tout ça.
Facile !
On ne voit un film ou on ne lit un livre que par le prisme de nos propres connaissances.
Pour nous convaincre, chaque auteur / réalisateur a énormément d'outils entre les mains. Je ne peux pas imaginer que ce plan n'a pas été réfléchis et s'est fait presque au hasard (même s'il existe des heureux hasards) et que le montage ait décidé de le garder tel quel.
Chaque histoire doit être racontée avec toutes les techniques actuelles pour l'ancrer dans notre propre perception de la réalité.
Le plus important c'est de faire évoluer les contes avec la base de connaissance commune que nous accumulons.
S'il y a encore une soixantaine d'années personne ne comprenaient le voyage dans le temps et ses conséquences ou les théories d'univers parallèles et multiples. Aujourd'hui, toutes ces histoires sont à la portée de tout le monde.
Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.
Les cinéastes maitrisent de mieux en mieux leurs outils et ils y sont obligés par les spectateurs qui les comprennent de plus en plus.
On connait les trucs et astuces du montage et les effets spéciaux. Notre oeil est de plus en plus habitué à toutes ces techniques et évolue ce qui fait très mal vieillir la 3D (d'où le bon réflexe d'utiliser de plus en plus de vieilles combines et marionnettes).
Cela fait donc de nous des gens de plus en plus exigeants et de ceux qui nous surprennent encore deviennent donc de véritables bardes.
Bon tout ça reste comme toujours très subjectif mais pensez-y...
Quel est le moment, le plan, la phrase, qui a fait basculé, dans votre esprit, un simple conte en une histoire extraordinaire ?
Bonne soirée, bonne nuit.
Et a bientôt !
Sans déconner, portez-vous bien...
à suivre...