myrzouick

écrire, scénariser et mourir vite...

23/07/2019

quelque chose que j'écris...

Et si j'écrivais ici une petite nouvelle ?
Je reviendrai la semaine prochaine pour un article sur plus en rapport avec le sujet de mon blog (ou la semaine d'après, je ne suis pas sûr de pouvoir me connecter tous les jours).
En ce moment, j'écris beaucoup. J'essaie de remettre au gout du jour mes anciennes nouvelles et je continue mon "roman" : Les Mondes Elementaires...

Retrouvez mes précédents articles , et .

À plus

Désaxé ! / Il sera une fois.

— Je crois pouvoir affirmer que personne ne comprend vraiment la physique quantique…
Un silence. Tu as capté leur attention. Tu souris.
— Savez-vous qui a dit cela ?
Personne ne répond. Tout le monde ou presque connait les théories d’Einstein et ses citations. Ces dernières ayant grandement contribué à rendre sa théorie de la relativité générale bien plus facile à appréhender.
— Richard Feynman, un grand physicien, et il a probablement raison. Tout au long de l’année, nous essaierons pourtant ensemble de lui donner tort. Tout au long de l’année, donc, je m’efforcerai de vous donner une définition de l’ensemble de la théorie quantique… Si vous êtes ici, assis devant moi, c’est que vous avez déjà toutes les bases prérequises pour comprendre ce que j’ai à vous enseigner. Néanmoins, je sais qu’au cours de l’année, il y aura de nombreux abandons. J’attends que vous vous accrochiez un maximum, votre travail personnel dans la bibliothèque de l’université aura un impact plus qu’important. Soyez curieux !
Tu t’éclaircis la voix.
— Le principe de la théorie quantique, c’est de dire qu’on ne sait pas exactement où se trouve un atome donné à un moment donné. On peut connaitre soit sa vitesse, soit sa position, jamais les deux. Pour ceux qui auraient loupé quelques cours, je vous rappelle que les atomes sont la base de toute chose. Nous sommes nous-mêmes composés de milliards de milliards d’atomes. Organisés en molécules puis en cellules, ils sont notre peau, nos organes, notre cerveau et tout ce que nous sommes. Et nous n’avons pourtant aucun moyen de savoir où sont ces atomes avec précision.
Tu t’approches du premier rang.
— Étant donné que vous êtes là, assis devant moi, on suppose que vos atomes sont par là… Mais ils pourraient être légèrement à gauche, ou alors carrément à droite. La cohérence fait que vos yeux restent au milieu de votre visage. Enfin presque. Il y a donc une possibilité… pour que vous regardiez le tableau au lieu du décolleté de votre voisine, monsieur…
Il y a des rires. Tu es satisfait.
— Bref, il y a des endroits où nous n’existons même pas. Voilà ce qu’implique la théorie quantique…
Tu prends ton verre d’eau sur le bureau et bois une gorgée. Le cours magistral dure deux heures aujourd’hui. Il est important de tenir car tu as beaucoup de choses à dire.
— La théorie quantique explique l’infiniment petit avec des conséquences sur l’infiniment grand. Et, pour ceux que les comics intéressent, elle dévoile la présence de plusieurs axes parallèles dans l’univers. Plusieurs réalités se superposent une pour chaque atome, pour chaque position. Le Temps lui-même étant relatif, il y a certains de ces axes où vous êtes plus jeune, d’autres où vous êtes déjà morts depuis longtemps, certains où vous n’êtes même pas nés. Mais le plus fabuleux de tous, c’est l’axe où vous avez échappé à tout. On parle alors d’immortalité quantique car dans cet axe vous êtes invincible, vous avez fait les bons choix, échappés à tous les accidents… Cet axe là, chérissez le.
Tu te racles la gorge.
— Bien entendu, tout cela reste un résumé très succinct de toutes les possibilités qu’offre la découverte de la physique quantique. Vous verrez donc tout le long de l’année, de l’inédit, du bizarre, de l’invraisemblable. Mais bien entendu, tout n’est pas toujours tout rose et le principal problème de la théorie quantique reste sa grande sœur la théorie de la gravitation de Newton. Nous espérons tous que les chercheurs du monde entier finissent par trouver de quoi unifier ces grandes théories ou qu’ils abandonnent les deux. Voilà ce que nous ne toucherons peut-être nous jamais du doigt, le graal de la physique.

Tu te sens chanceux aujourd’hui, pour la première fois tes étudiants semblent t’écouter avec attention. Les principes que tu vas aborder tout au long de l’année sont les principes les plus compliqués à enseigner sans être trop précis ni trop caricatural. La plupart des gens devant toi pense encore qu’un atome est une bille et qu’une molécule est juste un paquet de billes… Il va falloir commencer par les faire désapprendre tout ce qu’on leur a enseigné pour ensuite leur faire comprendre ce qu’est la physique quantique.
— Alors mettez-vous à l’aise et essayez juste de profiter de ces cours pour comprendre à quel point tout peut être génial. Nous commencerons par un principe simple : observer c’est déjà agir et c’est changer la nature de ce qu’on observe. De la même manière qu’on ne peut pas…
Tu es interrompu par un homme qui entre dans la salle.
— Bonjour Monsieur Jamie, dit-il, le directeur veut vous voir.
Tu regardes l’homme médusé.
— Maintenant ? Je viens de débuter mon cours.
L’homme balaie la salle du regard et soupire. Il hausse les épaules et me montre la porte sans un mot de plus.
— Très bien. Le cours est terminé. Essayez de me faire un résumé humoristique des travaux de Schrödinger, oui, on parle bien du chat mort et vivant. Merci à vous.
Tu suis donc l’autre homme chez le directeur.

Vous rentrez dans le bureau. Un homme en costume, assis derrière une grosse table couverte de papiers de toutes sortes te regarde d’un air grave. Il tousse. Et relève le nez vers toi. Il tire un dossier qu’il ouvre devant lui.
— Il faisait cours, dit l’homme qui t’a accompagné.
— Encore ? demande le directeur en ôtant ses lunettes.
— Oui…
Le directeur se gratte la barbe et désigne une chaise pour que tu t’assoies.
— Monsieur Yvan Jamie. Vous êtes avec nous depuis combien de temps ?
— Trois belles années…
— Exactement, répond le directeur en tapotant le dossier.
Il le referme et le pose sur sa table.
— Savez-vous, puisque vous semblez intelligent où vous êtes ?
— Dans une université.
— Et vous enseignez depuis combien de temps ?
— Vous voulez dire avant d’arriver ici ?
Le directeur hoche la tête, intéressé.
— J’ai eu mon doctorat il y a maintenant douze ans. J’enseignais déjà avant on pourrait dire que ça fait plus de quinze ans.
— Et vous enseignez ?
— La physique. Et plus particulièrement la physique quantique…
Le directeur jette un regard à l’homme qui t’a accompagné en secouant la tête. Il sourit.
— Newton et sa pomme.
— Non, dis-tu en riant, nous allons au-delà. Les théories de la relativité d’Einstein par exemple. Plus actuelles.
Le directeur ne sourit plus.
— Monsieur Jamie. Vous êtes, actuellement dans un centre spécialisé pour les gens comme vous.
Il semble chercher un mot.
— Victimes de troubles psychologiques.
— Pardon ?
— Pour votre propre sécurité et la sécurité des autres on vous a fait interner dans cet institut qui…
— Un asile !?
— Oui. Exactement.
— Vous êtes en train de me dire que je suis fou, t’exclames-tu.
— Il faut croire que oui, bien que notre politique nous interdise de dire ce mot. Nous préférons parler de…
— Impossible ! Je suis professeur de physique quantique ! Je sais des choses. La théorie d’Heisenberg ! Bohr, Einstein. Quel fou saurait ça ?!
— Vos troubles n’ont rien à voir avec votre intelligence si je ne connais pas toutes ces personnes, par exemple, suis-je moi-même fou ? Ou peut-être stupide ?
— Je n’ai pas dit ça.
— Regardez autour de vous, monsieur Jamie. L’homme qui vous a fait venir ici est un infirmier spécialisé et vous faites cours à des personnes qui restent en pyjama…
— Les étudiants ont toujours du mal à sortir du lit.
— Il recommence, s’énerve l’infirmier en s’approchant de toi, s’il y croit vraiment ça va dégénérer.
— Attendez Serge, s’exclame le directeur.
Il baisse la main et s’adresse directement à toi.
— Monsieur Jamie, il faut vous montrer raisonnable et prendre vos médicaments. Vous savez ce qui s’est passé la dernière fois.
— Vous allez arrêter vos conneries. Je suis diplômé. Je suis professeur, ma place est dans une faculté. Je suis loin d’être fou !
Tu te lèves et pousses violemment tout ce qui se trouve sur la table du directeur. Tu veux hurler mais aucun son ne sort de ta bouche. Tu ressens une vive douleur dans la cuisse. Tu regardes l’infirmier qui a dégainé une seringue avant de te sentir très faible et de tomber.
Le directeur secoue la tête, déçu. Il ramasse ses lunettes alors que tu t’effondres sur ta chaise.
— Ce n’est pas possible. Arrêtez. Je suis désaxé… Je suis professeur.
Tu t’endors.
— Vous le mettez dans la boite.
— Oui monsieur.

On te traine dans de longs couloirs avant de te jeter dans une toute petite pièce fermée et capitonnée. Là on te laisse en te forçant à boire toute sorte de sirops. Aucune fenêtre, aucun observateur. Tu es seul avec toi-même et tu commences à entendre des couleurs, voir de la musique et toucher des odeurs.
Tout se mélange.
Sous l’effet des drogues, le monde est flou. Tout semble bouger comme dans un bateau. Quand les gens te parlent, ce sont des couleurs qui sortent de leurs bouches. Tu ne comprends plus rien à ce qui t’entoure. Tu doutes même de ce que tu es. Le temps lui-même ralentit. Le temps ! C’est ça.
Tu souris. Tu respires. Einstein a raison.
Tu vois sa relativité. Tu vois les axes.
Les univers se croisent, se touchent, fusionnent. Il doit exister un point. Un point qu’ils partagent. Un point où tu as traversé.
Combien de temps passes-tu dans cet état avant que les infirmiers ne diminuent ton traitement ? Tu passes toujours tes nuits dans la petite salle capitonnée mais ils te font sortir durant la journée ; à condition que tu n’essaies plus de faire le professeur. Ton cerveau commence à se remettre en marche.
Là sur ton vieux fauteuil roulant – tes jambes étant encore trop faibles d’après eux – dans la salle commune, tu t’approches d’un autre patient. Il s’appelle Walter. Il est gentil… — Je ne suis pas fou. Mais ils le pensent. Je crois que je ne suis simplement pas à ma place… Tu connais les théories de Hugh Everett ?
Walter secoue la tête.
— Dans les années cinquante, c’est lui qui le premier a parlé de mondes parallèles. Il disait que le chat de Schrödinger pouvait être mort et vivant. Dans une réalité, le chat était vivant dans l’autre mort. Seul l’observateur dans chacune de ces réalités voit quelque chose de différent. Mais dans le tout qu’est l’univers le chat est mort et vivant. Tout dépend de la place de l’observateur. Et je ne suis pas à ma place. Le Yvan Jamie de cet axe est fou. Moi je ne le suis pas. J’en viens donc à penser que nous avons échangé nos places. Il y a un passage. Je le sais… Je ne peux pas connaitre toutes ces choses et être fou.
— Tu vois le futur ?
— Non Walter, bien sûr que non. Je ne parle pas de voyages dans le temps. Mais de changement d’axe, bien que cela serait possible dans un axe où le temps s’est écoulé différemment. Il y a un passage et pour une raison que j’ignore je suis ici. Je dois me superposer avec l’autre Yvan Jamie pour retourner chez moi.
— Comment ?
— Nos axes ne doivent pas être si différents puisque c’est déjà arrivé. Mais je ne sais pas comment faire pour inverser le processus.
— C’est fâcheux.
— Oui, Walter… C’est fâcheux.
Tu soupires.
— Le tunnel est forcément dans l’asile. Pour une raison que j’ignore j’ai dû venir ici dans mon axe à moi. Il y a un tunnel. Forcément !

Walter ne comprend pas ton problème. Mais parler avec quelqu’un t’aide à réfléchir. Et alors qu’on vient te chercher pour t’accompagner dans la petite salle capitonnée, il t’attrape la main et glisse dedans le bout d’une petite cuillère aiguisé.
— Troisième capiton, gauche.
Tu ne dis rien, surpris. Et cache rapidement la cuillère dans ton pantalon.
Une fois de plus on te jette dans ta cellule capitonnée.
Tu attends que la porte se referme et qu’ils éteignent la lumière. Tes yeux s’habituent doucement au noir. Tu rampes doucement vers la gauche de la pièce, troisième capiton…
Tu sors le petit outil que Walter t’a laissé. Et doucement tu coupes le tissu de la pièce. Tu grattes le coton, coupes des fils. Et soudain, tu sens un courant d’air. Tu arraches tout doucement ce qui reste de tissus et de coton. Et derrière le troisième capiton en bas à gauche de la cellule, tu découvres un tunnel…
— Oh mince.
Walter t’a pris au mot. Tu voulais un tunnel. Il t’en offre un. Comment savait-il ? Qui était-il vraiment ?
Tu hésites ? Tu pourrais sortir dès maintenant ?
Depuis quand es-tu ici ? Le sais-tu seulement ? C’est de ça dont voulait parler Einstein en 1905. Le temps s’écoule à son rythme et son rythme ici est très lent. Pourquoi ne t’es-tu pas aperçu que tu donnais des cours de physique quantique à des fous ?
— Ce n’est pas moi. C’est l’autre Yvan Jamie. Et il doit reprendre sa place. Et je dois récupérer la mienne !
Tu te poses la question. Qui est-il ? L’autre toi était-il un psychopathe ? Qu’avait-il fait pour se retrouver ici ?
Tu ne veux pas vraiment savoir. Tu es décidé. Il te faut partir.
Sans réfléchir plus tu t’engouffres dans le trou. Tu rampes. Tu es presque coincé par moment. Tu vois soudain des flashs et la réalité semble se tordre autour de toi. Tu rampes plus frénétiquement. Tu sens l’air caresser tes joues. Tu sors enfin t’agrippant aux touffes d’herbe pour t’extraire du trou…
Tu cours.
Parfois tu trébuches, tes jambes tremblent. Tu te relèves, t’aides de tes mains dans l’herbe fraiche.
Tu cours le plus vite possible. Il fait nuit. Personne ne peut te voir – du moins tu l’espères. Tu arrives devant le portail. Il n’est même pas fermé à clé. Tu sors de l’asile enfin libre. Et tu cours.

Personne ne te remarque dans le bus qui te ramène à la maison. Le bus de nuit est toujours rempli de gens étranges ou de fêtards éméchés.
Tu arrives enfin chez toi et entres par la porte de derrière qui reste toujours ouverte. Tu te glisses dans le lit et ta femme t’enlace.
Yvan Jamie est à sa place… penses-tu alors.
Tu dors finalement d’un sommeil profond et pour la première fois depuis des jours – des mois, des années – apaisé…
Le lendemain matin tu es réveillé soudainement par un bruit horrible strident. Tu sursautes.
— Qu’est-ce que c’est ? t’exclames-tu.
— Le réveil, répond ta femme. C’est l’heure…
— De ?
— Tes cours…
Tu secoues la tête. Bien sûr. Tu es revenu à ta place. Tu dois donc aller à l’université. Tu entres dans la salle de bain. Tu regardes ton image dans le miroir. Tu dois te raser. Mais tu ne trouves pas ton coupe-chou habituel. Ta femme entre dans la salle de bain alors que tu te caresses le menton.
— Ça te va bien, dit-elle.
Elle t’embrasse sur la joue. Tu souris.
— Tu as maigri, reprend-t-elle.
— Oui, j’ai l’impression.
— Ça a été hier ? Tu n’es pas trop perturbé ?
— Par quoi ? demandes-tu, inquiet.
— Ta visite à l’asile ? Tu devais rencontrer un fou qui parle de physique quantique.
Tu soupires de soulagement. C’était pour ça que tu étais à l’asile. Tout devenait rationnel.
— Il était très intéressant. C’est assez étrange de voir comment un esprit malade peut paraître aussi sain quand il parle d’un sujet qui l’intéresse autant. Il est vraiment calé. Une véritable encyclopédie, il se souvient de tout.
— Wikipédia quoi.
— Pardon ?
Ta femme sourit et sort de la pièce.
Tu finis de te préparer et sors de chez toi.
Dans les transports, la ville défile sous tes yeux. Tu ne la reconnais pas. Peut-être qu’une éternité est passée depuis qu’on t’a enfermé. Ou alors ce n’est que ta vision des choses.
— L’observateur change forcément ce qu’il observe. Et si personne ne peut observer ses propres destinées, un second observateur en théorie pourrait. La physique quantique est merveilleuse. Elle peut tout expliquer. Même cette ville qui a changé n’est que ce que je projette d’elle.
— Vous allez bien monsieur ?
Tu souris à la jeune demoiselle qui s’inquiète de te voir parler tout seul.
— Très bien merci.
Tu es enfin à ta place. Tu es enfin libre.
Arrivé dans le quartier de l’université, le vertige te prend. Depuis quand y avait-il ces tours de verre ? Tu ne reconnais rien. Et cette fois, ce n’est pas toi. Tu n’as pas laissé les détails t’envahir mais tu comprends presque instantanément. Tout s’emboite. Le réveil, le rasoir, les bus, les tours, les voitures énormes. Tu n’es pas à la bonne époque.
Pourtant tout semblait si logique.
Mais tu n’es pas au bon moment.
Tu connais l’université. Tu sais où est ton bureau et il n’y a aucun doute là-dessus, ton nom est écrit en lettres dorés sur la porte vitrée.
Tu entres.
Un laborantin relève le nez d’une machine rectangulaire qui l’éclaire. Un ordinateur ? Tu n’es pas censé savoir ça.
— Professeur Jamie ? Vous êtes bien matinal.
— Jim ?
Il s’appelle Jonathan, mais tout le monde l’appelle Jim. Tu respires de plus en plus mal. Ton cœur accélère.
— Je suis encore désaxé ! Quelle année ? Quelle année sommes-nous ?
— 2018. Vous êtes sûr que ça va ? Vous êtes tout pâle. Asseyez-vous…
Tu t’assoies.
Ton assistant t’apporte un verre d’eau.
— C’est impossible, murmures-tu.
— Qu’est-ce qui est impossible ?
— Je… je suis né en 1864 !
— Mais bien sûr.
— Je ne plaisante pas !
— Écoutez professeur, je vous connais, vous n’avez pas cent cinquante-quatre ans. C’est un peu de fatigue c’est tout. Vous n’auriez pas dû faire ce tour à l’asile. Ressaisissez-vous.
— Je ne peux pas.
— Quelle est la dernière chose dont vous vous souvenez ?
— La dernière chose dont je me souviens…
Tu cherches dans ta mémoire un évènement marquant.
— On déplaçait Émile Zola. Ses cendres sont entrées au Panthéon.
— Ah !
Jim tape rapidement sur son clavier.
— 1908 d’après Wikipédia… Ce n’est pas tout jeune.
— Je suis désaxé de cent dix ans !
— Vous êtes aussi professeur de physique ? Je veux dire même à votre époque ?
Le ton que le laborantin prend semble détaché. Il ne prend pas ton problème au sérieux. Mais il essaie d’être rationnel.
— C’est grave, répliques-tu.
— Répondez à ma question. J’essaie juste d’être logique.
— Bien sûr que je suis professeur de sciences physiques.
— Newton ? Galilée ?
— Einstein, Planck, leurs prix Nobel. Everett aussi ! Bohr. Heisenberg.
— Vous enseignez la physique quantique ?
— Tout le temps.
— Je vous arrête tout de suite, professeur. Vous ne pouviez pas enseigner la physique quantique en 1908. C’était le début et on n’y connaissait rien. Quand Einstein a parlé de relativité restreinte on dit que seul deux personnes au monde pouvaient comprendre. Et il ne l’a pondue qu’en 1905 ! La relativité générale en 1915 ! Et il n’a eu le Nobel qu’en 1921.
Tu as le vertige. Des crampes d’estomac te saisissent.
— Le chat de Schrödinger, dis-tu.
— 1935… Écoutez professeur, vous ne pouvez pas être désaxé. Cette théorie d’Everett sur les univers multiples n’a vu le jour qu’en 1950 !
— Je suis né en 1864 !
— Alors vous ne pouvez pas connaître tout ça.
— Mais je le sais ! cries-tu.
— Je ne crois pas professeur. Maintenant, il suffit de vous calmer et tout ira bien. Vous êtes surmené en ce moment. Peut-être qu’il faudrait prendre du temps pour vous.
— En 1908, on sait tout ça ! On sait tout ça. Je dois retourner dans ma réalité. Il y a un univers où toutes ces théories existent déjà en 1908.
— Avec des gens qui s’appellent Einstein, Bohr et Everett mais qui sont nés plus tôt ? La coïncidence serait énorme.
— Mais tout est possible ! Tout existe !
— Professeur, calmez-vous.
— Non ! hurles-tu.

Tu te lèves soudainement et ouvres violemment la porte. Tu sors de l’université en courant sans te retourner. Si tu n’es pas professeur de physique quantique en 2018, tu es fou en 1908 ?! Il doit y avoir un autre passage ? Un autre axe où l’humanité a évolué plus vite, un axe où les bases de la théorie quantique sont posées au dix-neuvième siècle ! C’est impossible autrement. Tu dois repartir. Retourner dans la salle capitonnée, traverser le trou ouvert par Walter. Tu cours comme un dératé à travers la ville.
Il commence à pleuvoir et l’orage gronde lorsque tu approches des hautes grilles de l’asile que tu avais ouvertes la veille. Tu agrippes les barreaux et hurles.
— Venez me chercher !!
Tu tires de toutes tes forces. Tu frappes les grilles. Tes poings sont ensanglantés. Tu continues sans t’arrêter.
— Laissez-moi entrer je suis fou !!
Le tonnerre éclate, le vent souffle. Tu es trempé. Des infirmiers accourent et ouvrent la porte. Lorsqu’ils veulent t’attraper tu leur envoies un coup d’épaule, puis un coup de poing. Tu les bouscules et fonces vers le bâtiment.
Tu ouvres la porte d’entrée.
Un nouveau garde tente de t’arrêter. Tu lui mets un coup de tête et lui éclates le nez. Il tombe sur le sol en se tenant le visage. Tu prends ses clés à sa ceinture.
Tu cours dans les couloirs alors que tu entends la clameur des infirmiers qui s’approchent. Tu essaies de leur barrer le chemin en jetant tout ce que tu trouves sur le tien : des armoires roulantes, des fauteuils, des brancards. Tu arrives devant la salle capitonnée. Tu cherches la clé en tremblant. Ils approchent.
Tu ouvres enfin la porte et te précipites vers le troisième capiton en bas à droite. Tu l’arraches en t’aidant de tes dents, des clés et de tes ongles et trouves… un mur. Il n’y a plus de passage. Ou plutôt il n’y en a jamais eu. Le mur est intact.
Les infirmiers arrivent et te plaquent au sol.
Ils t’enfilent une camisole de force et récupèrent les clés.
— Non ! Aidez-moi ! Je ne suis pas d’ici !!
— Ne bouge plus !
Alors qu’ils t’attachent tu regardes le mur nu. Tu sens une piqure dans la cuisse. De nouveau on te drogue. Ta respiration haletante ralentit. Même si tu ne le veux pas, tu te calmes. Tu respires doucement. Tous tes muscles tendus se décontractent doucement.
— Je ne sais pas qui je suis… murmures-tu presque suffocant.
Tu n’entends plus le tonnerre. Tu te sens en sécurité la joue contre le sol moelleux de cette petite pièce.
Le monde extérieur est mort.
Peut-être n’as-tu jamais été professeur, finalement.
Les infirmiers te relâchent enfin. Tu respires. On te retourne et on t’assoit le dos contre un mur. Le directeur de l’asile entre à son tour dans la pièce.
Il secoue la tête l’air grave.
— Monsieur Jamie…
Il retire ses lunettes pour les essuyer.
— Vous êtes revenu ?
Il remet ses lunettes en place et te regarde avec pitié.
— Vous revenez toujours… C’est votre place.
Tu fermes les yeux alors qu’ils ressortent en fermant la porte.
Tu t’endors…
S’il n’y a pas d’autre axe, pas d’autres places.
Tu…

à suivre...

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