myrzouick

écrire, scénariser et mourir vite...

26/01/2020

en un instant...

Un instant s'il vous plait. Je me concentre...
J'ai pas trop envie de partir dans tous les sens cette fois, il faut que je réfléchisse et que je mette mes idées au clair.
Essayons comme lors de mes grandes années de lycée en philosophie, de faire une thèse, une antithèse et une synthèse. Mais comme je n'ai jamais réussi à faire ça correctement, je sens que ça va quand même partir en couille.
Donc, comme à chaque fois, accrochez-vous. Je dis ça alors que je sais que vous êtes de moins en moins nombreux à lire. Mais c'est pas grave, l'idée c'est de vivre dans l'instant.
Alors prenons cet instant pour lire.

Commençons par définir l'instant : l'instant est le plus petit élément constitutif du temps
Il est infiniment petit. Par extension aujourd'hui, par instant nous entendons un moment très bref. Mais on sait bien qu'un instant peut s'étirer quelque woit sa durée effective, on considère que l'instant est un moment court.
Dans Le Voyageur Imprudent de René Barjavel, le scientifique qui cherche à voyager dans le temps plonge ses cobayes (et donc à terme le voyageur "imprudent") dans un présent, un instant, qui devient infini. Et c'est ainsi qu'il voyage dans le temps. En restant dans l'instant et en voyant défiler passé et futur.

Vous l'aurez compris, je vais aujourd'hui parler de l'instant. Et de notre vie qui défile comme autant d'instantanés.
Le monde est régit par l'image et l'image ne dure qu'un instant. C'est un instant qu'on capture et qu'on peut donc regarder - et par extension revivre - indéfiniment.
Notre vie devient une suite d'instants plus ou moins marquant qui finissent par nous définir.
Dans les diners où la nostalgie se mêle aux contes, on ne compte plus le nombre de fois où nos amis, notre famille ou nos collègues nous parlent "de la fois où..." souvent précédé d'un "tu te souviens..."
Et nous avons tous en tête ces instants qui alimentent notre légende.
Comme la fois où je suis monté dans la montagne en pleine nuit et que j'y ai croisé un sanglier.
Comme la fois où je l'ai embrassée dans un élan d'impulsivité.
La fois où mon fils est né et que je suis resté avec lui.
Toutes les fois où j'ai voyagé et où nous avons vécu toutes ces choses notamment avec mon père. Il y a la fois où on s'est caché sous un pont pour semer la police. La fois où j'avais oublié le sac avec l'appareil photo dedans à New York, la fois où...

Notre vie n'est qu'une suite d'instant. Et il faut en profiter car pour la plupart nous n'en vivrons plus de nouveaux. J'ai ouvert un magasin il y a deux ans, j'ai sué pour faire des plannings, recruter mon équipe, les former, les accompagner, détecter des gens qui se tenaient au-dessus de la mêlée. Et je me souviens encore de cet instant où nous avions eu le temps de tous nous réunir pour un petit discours où justement je leur expliquai tant bien que mal que ce que nous avions fait était exceptionnel et qu'il faudrait se souvenir de cet instant...

Le monde donc est régit par l'image donc. Est-ce que c'est parce que notre mémoire est de moins en moins bonne qu'on a besoin de capturer en vidéo ou en photo, ces instant ? Ou est-ce que tout va de plus en plus vite.
Un instant en chasse un autre, c'est le propre de l'instant. Il est en effet si cours. Forcément.
Le premier baiser est une merveille, le coeur bat plus vite, le sang bout à l'intérieur. Le vertige nous prends. Le contact des lèvres est électrique. Le bout de la langue est doux. Parfois c'est un peu gauche, on ne sait pas comment l'autre réagira. Les premiers baiser sont des calibrages pour tous les autres à venir et pourtant ils sont les plus merveilleux. Le premier en tête... Juste un instant.
On capture les instants pour les rendre éternels, pour s'en souvenir. Pour le meilleur... et pour le pire... On va parler de ces instants.

instantané.

C'est très humain en fait, et faut-il le critiquer ? Je ne pense pas. Prenons cependant le temps de réfléchir ce qui se cache derrière un instant...
Aujourd'hui, on nous imposerait presque de vivre en profitant. De toute façon on n'a plus le choix, les boulots se font rares et irréguliers. Quand j'entends les patrons me dire : "les jeunes d'aujourd'hui ne veulent plus bosser" je leur réponds : "on ne leur donne plus rien ; alors autant bosser comme on a envie pour avoir quelques instants précieux de coté.

Ce n'est pas un mal de profiter de l'instant. Par exemple, en ce moment, je prends beaucoup l'avion ou le train. Je survole la France, je la traverse à grande vitesse. Nous avons un joli pays vu de ces moyens de transports. Je remarque alors les paysages qui défilent comme autant d'instant que j'apprécie.
Je vois des champs, des forêts. Une centrale nucléaire et son panache de vapeur. Une rangée d'éoliennes qui tournent doucement. Des montagnes et des collines, des vallons et des bras de rivière. De petits hameaux isolés et des grandes métropoles.
J'aime l'instant de ces vols (que je m'arrange d'ailleurs pour capturer). Je ne pense pas à tout ce qui s'est passé pour que j'en sois là, arrivé à cet instant. Je ne pense pas aux progrès technologiques, à mon évolution personnelle qui me permet d'apprécier, à mes missions professionnelles qui m'ont conduit à me déplacer de plus en plus.
J'apprécie simplement l'instant. Et je comprends. Je comprends pourquoi nous sommes de plus en plus nombreux à pouvoir vivre dans l'instant. Avec des instants en chassant d'autres.

En profitant de l'instant, comme nous le demandaient jadis des philosophes comme Epicure, nous alimentons notre propre passé, qui n'est qu'un enchainement de souvenirs de ces instants si précieux.
Nous nous définissons par ces instantanés de vies. Nous nous remémorerons des images qui aujourd'hui nous définissent. Je ne suis pas un vrai Globe Trotteur dans le sens "Roots" du terme. Mais j'ai dans la tête des souvenirs de chacun de mes voyages à travers le monde. Je me souviens avoir apprécié un verre à Hong-Kong, des pates dans un des food market de Seoul, une balade dans New York la tête levée vers les gratte-ciel, une pinte de cidre bue à l'auberge du Dragon Vert à Hobbitbourg.
Je me souviens avoir mangé des insectes et parcouru la grande muraille de Chine sans aucun touriste.
J'ai mangé un meilleur burger dans tous les pays et ville que j'ai visités (et le souvenir de celui du Boston Blackies Burger de Chicago est encore bien vivace).
Une ballade en touk-touk dans la vieille ville de Malacca.
Plus proche, j'ai nagé au dernier étage d'un des hotels les plus luxueux du monde. J'ai mangé des brochettes entre deux immeubles. J'ai traversé la Death Valley (deux fois) et à chaque fois j'ai cru qu'on allait manquer d'essence.
Je me suis douché dans une cascade en guadeloupe et je me souviens qu'à deux ans je suis monté sur le toit de ma maison.
Les instants sont autant de moments qui nous définissent.

La mémoire étant ce qu'elle est. La vie étant ce qu'elle est. Nous n'arrivons plus à faire le lient entre chaque instant. C'est normal en un sens : peut-être traversons-nous de manière trop machinal notre vie.
Quand on en vient à répéter toujours les mêmes actions, les mêmes trajets, le même travail. Nous ne pouvons pas nous souvenir des détails de notre vie quand la plupart de ces détails sont autant de moment insignifiants.
Alors j'invite toujours mon fils à lever la tête. à regarder les étoiles. C'est con, mais ça ne prend aussi qu'un instant.
Parfois, quand je travaillais encore au Forum des Halles, je m'arrêtais une station de RER plus tôt juste pour traverser la Seine à pied et profiter de Notre Dame.

Les instants marquants, même les moins glorieux, sont ce qui nous définit car nous ne pouvons nous souvenir de tout. Et il n'y a que quelques instants que nous choisissons de chérir.

thèse, anthitèse...

Les instants sont donc l'ensemble de nos souvenirs qui nous définissent. Et ainsi, nous avons appris au fur et à mesure des années à nous concentrer pour faire de chaque instant quelque chose d'assez unique. Il suffit de nous rappeler d'une image pour que notre mémoire se tourne avec mélancolie vers un instant ou même tout un pan de notre existence cachée derrière cet instant.
Quand je mets les pieds en forêt, je me souviens de tous les instants que j'y passais, depuis les balades avec ma grand-mère, jusqu'à notre premier film tourné "comme des grands" et à jamais inachevé.

C'est donc très très humain de vivre dans l'instant.
Mais ça a des effets trop pervers... Vous l'aurez compris. Après avoir défini ce qu'était un instant et dire pourquoi les instants nous définissaient, je vais d'un coup vous dire pourquoi l'instantanéité de nos relations et de nos émotions est (ou plutôt peut être) une sale habitude.
Antithèse donc :

C'est humain, et je pense qu'il ne faut pas le critiquer, mais il faut prendre le temps de réfléchir à ce qu'il y a derrière l'instant.
Tout ce qui nous amène à l'instant (présent) : le passé donc.
Et tout ce qui découle de l'instant : le futur.
Et on ne mesure pas toujours les conséquences d'une vie bloquée dans différents instants.

Histoire : y a un type qui s'est assoupi sur un banc, ou plutôt sur un bout de mur car il est aujourd'hui assez difficile de trouvé un bans où l'on peut s'allonger de nos jour.
Ce type, comme vous et moi, est en tenue de travail, car il travaille. Enfin, il travaillait ou peut-être qu'il travaillera on n'en sait rien, à l'instant, là, maintenant, il est assoupi. Peut-être rêve-t-il ? On n'en saura jamais rien. Qu'a-t-il fait avant ? Est-il en pause ? Que va-t-il faire ensuite ?
Peu importe, une femme passe par là et prend un photo. Elle la poste et ça fait le buzz. Un bad-buzz. Le type est licencié car il salit l'image de sa société et elle disparait des réseaux sociaux.
On finit par en faire le martyre de ces instants partagés en direct sur les réseaux. Il retrouve finalement un boulot. Quant à elle, elle restera à jamais la salope qui l'a dénoncé.
Parce que comme je le disais plus haut, les instants de nos vies nous définissent !

Si elle avait pris le temps de se mettre à sa place et si nous, nous prenions le temps de nous mettre à la sienne ? Je sais que les réseaux sociaux ont ce penchant pour les instantanés et qu'une image vient toujours en chasser une autre. Mais ils ont aussi le pouvoir d'être une loupe avec un effet grossissant à l'extrème qu'il en devient déformant.
Pourquoi a-t-elle fait ça ? Est-ce qu'elle était énervée ce matin là ? Jalouse, larguée ? Peut-être en colère ou licenciée alors que d'autres semblent pouvoir se la couler douce pendant leurs horaires de travail. Tout comme ces grandes boites qui propose des coins sieste à leur cadre.
Ou peut-être est-elle tout simplement stupide...

Mais nous aussi nous l'avons jugé sur cet instant, sur un moment.
Dans tous les cas le mal est fait et pour ces deux personnes, ces instants resteront gravés à jamais. Pire, il les définiront. Il aura été celui qui a été licencié pour avoir pris une pause sieste. Elle sera la twitteuse salope qui l'a dénoncé.
Oh mais nous inquiétons pas, les réseaux oublieront.
Comme ils ont déjà oublié l'histoire de ce sans-papier qui a escaladé un immeuble pour sauver un bébé et est devenu pompier.
Jolie histoire que la salope et le martyre. On peut en écrire des tas des histoires comme ça qui commence juste parce que nous ne savons juger que sur les instants. Que nous ne prenons plus le temps de construire ou de retrouver le contexte.

La morale de cette histoire ? Si les instants nous définissent, définissent notre vie, c'est à double tranchant. Nous ne pouvons en effet pas nous souvenir de toute notre vie, nous repérons des instants qui deviennent des marqueurs de notre mémoire.
Ces marqueurs signifient énormément pour nous car ils sont porteurs d'une histoire, de notre histoire. On peut tout écrire autour d'un instant et c'est justement ce que je vous engage à faire.
Même si nous vivons dans l'instant que ce soit passé, présent ou futur, nous devons réécrire l'Histoire de ces instant. Et imaginez que nous sommes. Se raconter l'histoire autour d'un instant. Se remémorer tout ce qui nous a conduit à cette image, à cette vie.

Vivre dans l'instant c'est bien. Il n'y a aucun mal à être instantané, réactif. Mais reconstruire tout ce qui a mené à l'instant est un travail nécessaire et pour moi obligatoire...
Se mettre à la place de quelqu'un, c'est se raconter les histoires qui l'ont mené où il est aujourd'hui et ce n'est en aucun cas une mauvaise chose.
On peut se tromper, on peut inventer des choses invraisemblables. Mais faire l'exercice c'est se mettre à la place de l'autre, essayer de le comprendre et donc parfois d'arriver à l'excuser. Je crois que c'est par ces histoires autour de l'instant de commence le respect.

On dirait la fin, j'ai même trouvé ma conclusion. Mais je n'ai pas fini.
Dans l'épilogue je vais parler de ce qui me passionne encore et toujours le cinéma, et l'image.
Car on peut en dire beaucoup sur l'instant.

épilogue, épiclèse

On peut regretter, ou non, que le cinéma soit victime de ces instants. On peut regretter que de plus en plus certaines images de certains films sont conçues comme des instantanées qui finiront par définir le film.
Encore une fois, est-ce parce que le spectateur moyen ne se souvient pas du film qu'il a vu, ou est-ce que c'est pour marquer les esprits ?
La réponse se situe entre les deux.

Au début du cinéma, à l'époque de l'Arrivée du train à La Ciotat il fallait que tout bouger. Il n'y a qu'à regarder le film (disponible partout ou presque. Un train arrive il s'arrête, les chef de gare l'accompagne,on ouvre les portes des gens descendent, d'autres montent. Il y a des milliers de détails dans ce plan (pourtant fixe) séquence. Vous avez remarqué ce type qui regarde la caméra, ça ne se fait plus aujourd'hui.
Ce plan à lui tout seul résume ce que le cinéma viendra et même s'il n'y a pas d'alternance comme dans La Loupe de Grand-maman de Albert Smith, bah le cinéma est né, là, à la Ciotat.

Et le cinéma devait bouger. Car le film c'était des images qui défilaient à grande vitesse (10 - 12 images secondes on est loin de ce qu'on voit aujourd'hui mais quand même). L'intérêt était donc de montrer du mouvement. La caméra devait montrer des gens qui bougeaient.
Alors qu'aujourd'hui, trop souvent on lèche l'image, on définit des cadres, on se pose et certaines images deviennent un packshot qui résumera le film.
Le résumé express de toute une oeuvre. Un image censée entrer dans les mémoires et marquer l'esprit du spectateur.

Oh ça ne vient pas qu'avec le cinéma. Les bardes eux-mêmes utilisaient autre fois ce stratagème en décrivant ou en poussant la voix plus fort lorsqu'ils décrivaient des dragons ou s'arrêtant sur l'image d'un jeune chevalier pourfandant la bête.

Star Wars IX - L'ascension de Skywalker, encore lui, est un exemple du film d'image.
Le film est rempli de moment épique qui se résume par un plan. Un instant qui marque.
Un duel dans les embruns d'un océan agité. Des milliers de petits vaisseaux rebelles contre toute une flotte de croiseurs sith. Tout est fait pour faire monter l'epicness au travers de quelques plans bien choisis.
Et le cinéma devient comme ça. Ou peut-être l'a-t-il toujours été.
J'aime les bande-annonces au cinéma pour ça justement mais le cinéma devrait un peu plus se détacher de cette façon de faire... Ou pas. J'en sais rien. Je me dis juste que les plans sont plus beaux, plus fixes, et que paradoxalement ce qui était fait pour faire l'illusion d'une image animée devient une suite d'images. On n'a jamais été aussi proche de l'illusion et on n'a jamais été aussi loin du concept des frères lumières.

Prenez la bande-annonce de Kaamelott Premier Volet (ENFIN !!! attention je ne vais pas être objectif) : elle est composé d'une série d'image qui présente les personnages anciens (qu'on est soulagé de retrouver) et les nouveaux (qu'on aperçoit et qu'on veut connaitre) comme le "rodeur" Guillaume Galienne qui pète la classe quoi !
En quelques images, on nous annonce un film quand même assez épique.
De la fantasy à la française ! On essaie de comprendre, de décrypter, en vain.
Merlin est un Gandalf en puissance ! Il y a une table ronde reformée dans la neige. Un empereur (chevalier) blanc en arrière plan. Une cage suspendue ? Arthur ? Tous ces gens semblent réagir à quelqu'un ou quelque chose. On nous annonce un retour (bon, je me doute bien que Arthur va arriver mais ce qui est classe c'est que dans ce teaser on ne voit pas, enfin si, jeune et la ressemblance est frappante).

Juste avec une série d'images. On nous annonce un film épique.
Mais voyez, c'est parce que j'ai pris le temps d'extrapoler (au risque de me tromper) que j'ai tiré de ces images quelque chose.
C'est parce que je crois savoir ce qu'Alexandre Astier veut nous raconter, une guerre entre Lancelot et des résistants loyaux à l'ancien roi, que j'arrive à tirer de ces images - de ces instants - une vérité somme toute très personnelle.

Donc vivez dans l'instant, mais retracez les évènements autour de l'instant. Les évènements qui vous ont amené là où vous êtes dans ce présent infinitésimal.
Si tout le monde fait l'effort de comprendre pourquoi les autres en sont arrivés là, alors nous vivrons mieux ensemble.

Bonne soirée.
Et bonne semaine !

à suivre...

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