myrzouick

écrire, scénariser et mourir vite...

24/08/2020

Exposition...

Au théâtre, l'exposition est une introduction que fait l'auteur sur le sujet qu'il va traiter.
Il y a plusieurs façons de faire, mais si vous prenez l'Avare par exemple, on trouve dans les deux premières scènes, les amoureux contrarié et l'avarice du personnage principal.
En quelques lignes, on comprend rapidement ce que nous allons voir, les forces en présences, les qualités et les défauts des personnages.

Dans la littérature, c'est le prologue qui sert généralement à exposer la diégèse, l'univers dans lequel va se passer le récit.
Les personnages sont présentés au fur et à mesure pour que le lecteur puisse s'y attacher page après page, péripétie après péripétie...

Un des prologues les plus connu reste celui du Seigneur des Anneaux "Concernant les Hobbits", où Tolkien nous parle de son monde à travers des créatures qui sont les plus éloignées des intrigues de la Terre du Milieu.
Bon, ce ne sont pas les premiers mots que vous lisez. Mais je trouve ces derniers très cryptiques (à raison).
Je parle bien sûr du fameux poème : ... Un anneau pour les gouverner tous. Un anneau pour les trouver. Un anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les liés...

Un anneau et des hobbits, l'ambiance est posée.
Dans le film, on commence par la guerre de l'Anneau ce qui a le mérite d'exposer rapidement les enjeux et le pouvoir de l'Anneau. D'ailleurs, j'en ai déjà parlé quelque part, mais Peter Jackson passe son temps à affaiblir ses personnages face à l'Anneau Unique.

De plus en plus, on retrouve des prolepses (flashforward) ou des analepses (flashback).
Ce qui nous permet de rentrer encore plus directement dans un univers qu'on ne connait pas.
Car trop de gens pensent qu'une scène de fin peut être une bonne scène d'exposition. Mais en vrai, c'est de la frime. Les scènes d'expositions viennent souvent après le flashforward qui n'est qu'un moyen de créer du suspens artificiellement.
Et bien que conscient de cet état de fait, j'aime bien.

Fight Club ça marche bien par exemple. Et le fait que la même scène soit un peu différente quand elle est rejouée à la fin du film avec cette ligne de dialogue "j'ai toujours rien qui vient" - ah humour flashback... est un véritable effet de style.

Mais je parle cinéma depuis tout à l'heure sans introduire réellement le concept de prologue au cinéma car, bien qu'il existe des prologues au cinémas - ou plutôt des scènes d'exposition comme dans le théatre - elles ont, comme à chaque fois qu'on parle cinéma, des objectifs bien différents.

que du cinéma !

Je ne sais pas si ce que je vais dire est débile, mais au cinéma, en plus d'exposer ses personnages, son univers, l'auteur - le réalisateur plus particulièrement - doit exposer sa patte artistique.
En quelques minutes, il doit nous dire ce qu'on va voir, comment on va le voir et ce d'un point de vue scenaristique, évidemment, mais aussi technique !
En quelques minutes, une scène voire deux, le réalisateur doit nous montrer de quoi il est capable, de présenter les gens jusqu'au moment où l'élément déclencheur de l'intrigue arrive et que l'histoire soit lancée officiellement.

Dans les années 80-90, les scénaristes étaient en mode automatique, sur un film de 2h grand max, ils avaient 15 minutes (soit 15 pages de scénario - oui on considère qu'une page c'est une minute) pour exposer les personnages.
Si bien que vous pouvez chronométré, tout arrive dans ces quinzes minutes.
Et le réalisateur doit aussi en quelques minutes montrer sa patte. Sauf si c'est un yesman aux mains des studios mais ceci est une autre histoire.
Et quand bien même on peut être un yesman et faire du bon boulot...

Bref...
Prenons un cas d'école. Un exemple facile.
Rock (ou The Rock en V.O parce que nous en France on sait pas ce que ça veut dire The...)

Générique, image de militaire qui rend hommage à sa femme sous la pluie.
Un Drapeau américain est plié. Ed Harris est impeccable (comme souvent).
En bruit de fond, en plus d'une belle trompette de Hans Zimmer, on entend les conversations d'un général "mon général" qui geule contre ses supérieurs "parce que mes gars sont coincés là-bas"... "On vous abandonnera pas..." Et en fait on comprend que si...
Beau mixage son donc (récompensé aux oscars pour info).

La musique s'accelère, des militaires prennent d'assaut une base militaire en mode discretion et sans tuer personne en mode ninja et fléchette.
Ils volent des missiles en forme de collier anal vert.
Une boule verte tombe et éclate, un des mercenaires est enfermé et toujours sous les trompettes, on découvre l'effet de ce produit chimique un truc horrible...
Ed Harris est dépité. Un de ses soldats est mort. Ils sortent.

Plan sur le siège du FBI, Nicolas Cage se fait chier. Il a le temps de monter des machines infernales qu'il actionne au moyen d'un petit pistolet à fléchette.
Il reçoit un colis et s'extasie devant un vinyle à 600 dollars !
Cette petite scène nous dit deux choses, non trois.
1. C'est un employé de bureau.
2. Mais il sait viser avec un arme (même si elle est factice), il est du FBI. 3. Tarantino a été script doctor sur le scénario de The Rock et on a un aperçu de ces dialogues Pop-Culture.

Mais soudain, une alerte, un colis piégé.
Une bombe et chimique !
ALERTE : il faut évacuer !
Que Nicolas Cage doit désamorcer alors que la douche ne marche plus. Il faut qu'il s'enfonce une longue seringue dans le coeur pour être immunisé contre les effets du poison. Mais il ne veut pas. La pression, il gère et désamorce la douche s'ouvre ! Le siège du FBI est sauvé, le poison evacué.

Petit apparté, durant ce moment où Nicolas Cage et un apprenti qui craque en pleurant sont sous cloche de verre en train de désamorcer la bombe et que tout le monde hurle autour, Michael Bay nous fait son plan fétiche et tourne tout autour des personnages légèrement en contreplongée.
Il le refera plus tard avec Nicolas Cage.
Je l'ai fait moi-même devant Time Square, c'est vrai que ça iconise le personnage.

12 minutes de film et on a déjà les enjeux mais le scénariste et le monteur sont des pros et à 15 minutes l'éléments déclencheur arrive. Lors d'une visite à Alcatraz, le guide enferme "pour de faux" les visiteurs avant que Ed Harris et ses hommes ne débarquent et ne profitent de la situation pour installer des missiles et garder en otage les visiteurs et le guide.

En un quart d'heure, il y a tout eu ! Du Michael Bay, du Hans Zimmer, du Nicolas Cage, du plan épique, de l'action, de la mise en place.
Vous l'aurez compris, il va falloir sortir des gens d'Alcatraz et contrer une menace terroriste.
Comment ? Vous le saurez en regardant la suite du film... Mais tout a été fait pour exposer l'histoire et vous êtes, normalement, déjà accroché.

12 minutes

A la recherche d'un nouveau format, je me suis amusé à regarder les 12 premières minutes de certains de mes films préférés (ou pas).
Et je me suis rendu compte que sur ces 12 minutes on pouvait en dire des choses.
Qu'ils soient calibrés ou non, les 12 premières minutes d'exposition d'un film sont souvent (toujours ?) révélatrices du film.

C'est pourquoi je réfléchis à un format, vidéo, qui parlerait de films, d'histoire et donc des 12 premières minutes de films.
Si on s'en fait une série, j'ai déjà des pistes pour dévier un peu.
12 minutes avant de dormir.
Ou comment regarder des films en se couchant et ne rien manquer aux scènes qui suivent.

Je lance l'idée, mais forcément, j'ai besoin de vous parce que je ne veux pas passer forcément à la caméra mais retrouver mes premières amours de producteur. Se remettre à écrire des trucs.
Passer des après-midi à tourner dans un décor sympa...
Mais avec des vrais techniciens !

Oui parce que l'idée c'est de parler de technique autant que de scénario, si les auteurs sont important pour moi, le réalisateur lui-même imprime sa patte dans ce prologue...
12 minutes c'est le temps qu'il faut aux meilleurs films pour présenter leur univers, leur personnage et nous faire rentrer dans l'histoire. 12 minutes c'est le temps qu'il me faut pour décider si un film est bon ou non. 12 minutes. C'est court et parfois, même chez les plus grands, il y a des défauts. Mais en 12 minutes on sait à qui on a à faire.

quelques exemples ?

GoldenEye : première mission de Pierce Brosnan et la meilleure partie du film avec un générique à la James Bond qui résume ce qu'on verra (un sans faute).

Le Cinquième Elément : Dernier film bien de Luc Besson. En 12 minutes on a tout humour, epicness, extraterrestres au design fou-fou et enjeux du film... "Seule la vie est importante".

Matrix : La scène d'exposition se termine à 12 minutes et 5 secondes sur un plan des réalisateurs (devenues réalisatrices depuis) en laveur de carreaux. Un sans faute, premier ralenti de Trinity, Neo le hacker qui ne se réveille pas après sa soirée. Indice (simulacre et simulation) et le film nous a déjà accroché avant de nous parler de ce qu'est réellement matrice.

Star Wars : En vrai le texte défilant est une vraie faute de goût ! Quand on voit ça dans les films on sait que ça veut dire que l'auteur n'a pas réussi à nous vendre son univers correctement. C'est normalement une preuve d'incompétence.
Mais là avec cette musique. C'est devenu si culte que personne d'autre ne peut le refaire. Malheureusement ça a des limites dans le IX on se sert de ce texte pour droper le retour de l'empereur "comme ça".
Pour ce qui est de l'histoire, les 12 minutes finissent par deux droïdes perdus, on n'en saura pas plus, de toute façon l'histoire de La Guerre des Etoiles est basé sur le monomythe de Campbelle donc bon...

L'aile ou la Cuisse : Ce film je le connais par coeur et il m'a donné envie d'appeler cette chronique 17 minutes parce qu'en vrai tout est dit en 17 minutes mais en 12 on comprend vite : un guide culinaire, des grimaces, un grand De Funès !

Greenland : En 12 minutes on sait...
Même le grand et fort Gerard Butler ne sauvera pas le film... C'est nase et en plus la caméra à l'épaule c'est un style de moins en moins lisible et de plus en plus démodé.
"Hey bonjour c'est la subtilité, comme j'ai pas été invitée au tournage, je viens voir le film avec vous"
Rien ne nous est épargné dans ce film. Rien. Et de toute façon on ne peut pas y dire grand chose, y a que ça au ciné en ce moment. Et pourtant, avec cette histoire de comète qui "apparait" (pour détruire la terre) ils avaient un véritable écho avec l'actualité et la comète Néowise que nous avons pu admirer à l'oeil nu.

Scott Pilgrim : Edgar Wright est un génie. En 12 minutes il montre tout son talent et le film derrière est excellent. On finit juste avant la rencontre de Scott et de Ramona. Parfait trop de suspens. On est scotché par l'habillage jeu vidéo, les codes très cartoonesques qui sont utilisés à bon escient.
Et même le rajout par rapport aux livres : Scott Pilgrim joue à un jeu de danse Ninja a son importance puisqu'il "justifie" que le héros sait et va devoir se battre.

Baby Driver : Mais qui est Baby ? Un génie du volant. Comment va-t-on nous raconter son histoire ? En musique diégététique qui colle à chaque action, en plan séquence et avec des braquages et surtout des courses pousuites sur un rythme endiablé. En 12 minutes, Edgar Wright (encore lui) nous capte dans un film puissant et innovant.

Astérix mission Cléopâtre : 12 minutes sans Astérix ? Jamel en roue libre. Les enjeux son certains, Chabat fait du Goscinny et respecte parfois à la lettre prêt les dialogues. Astérix apparaîtra à la 13eme minute, mais on ne lui en veut pas, pas comme Uderzo, car c'est l'histoire qui veut ça.
Exposition plus rapide dans le domaine des dieux tous les ressorts comiques et scénaristiques sont posés en 12 minutes. Romain vs gaulois comme toujours. Syndicat vs centurion. Sanglier vs Obélix (que Astier arrivera à court-circuiter de manière intelligente). Et en prime un joli générique à la Pixar !

Snake Eye : On triche un peu car le plan séquence durant lequel l'intégralité de l'affaire du film se déroule (obligeant Nicolas Cage à faire des allers-retours entre les différents témoins qui raconteront en flash-back la scène du film) dure 12 secondes 45 ! Mais il y a tout, littéralement en fait puisque toute l'enquête repose sur ses 12 minutes (45).

Very Bad Trip : En 12 minutes - et même si le film commence par sa fin - vous n'irez pas jusqu'au serment et jusqu'au début de la nuit de folie qu'ils oublieront tous. Mais en 12 minutes tous les personnages sont présentés et quand Tooeyne nous a emmenés au cinéma pour le voir, le miroir devant lequel nous étions alors était clair.
Je pense que chaque groupe de potes (notamment ceux qui ont connu ou vont connaître des enterrements de vie de garçons) peut s'identifier aux personnages croquer par le désormais si célèbre Todd "Joker" Phillips !

Iron Man : On ne peut pas parler de la saga Marvel parce que les films reposent souvent sur des personnages déjà existants. Les scènes d'expositions sont souvent dans les films précédents. Ce qui est l'avantage et l'inconvénient des Saga au cinéma.
Alors on peut parler des premières histoires, du premier arc où l'on rencontre Iron Man, Hulk, Captain America et Thor. Avengers (le premier) prend le temps de représenter les personnages.
Mais ensuite, on se repose sur des expositions déjà créées précédemment et il n'y a plus qu'à présenter un méchant et ça ira.
Iron Man c'est donc à lui seul les 12 premières minutes de 24 films qui se répondront sur 10 ans. Et en 12 minutes on comprend qui sera Iron Man. Ça ira vite, ce sera bien rodé. Improvisé, parfois. Les cinéastes se reposeront sur des personnalités fortes qui incarneront (à jamais) les personnages qu'ils jouent. C'est ça que nous disent ces 12 minutes.
Comme dans toute "origin story", Iron Man avec son armure mach 2 n'apparaitra qu'à 1 heure et 12 minutes : autre preuve que Marvel prendra son temps !

épilogue épiphytes

L'article est déjà bien long et je ne vais pas le continuer mais vous avez compris où je voulais en venir :
Un auteur quelqu'il soit ne peut pas louper son prologue.
Quelque soit le style, le medium, les scènes d'exposition sont les parties les plus importantes d'un livre, d'une pièce de théatre et d'un film.
Manquer de subtilité, rater une entrée, perdre les lecteurs en bavardages inutiles, c'est déjà rater son histoire.

Je vais rappeler quelque chose de basique : l'histoire commence toujours par un début.
Un début qu'il faut soigner.
On n'a jamais l'occasion de faire deux fois une bonne première impression. Et le début d'une oeuvre doit faire bonne impression.

Et comme chaque repas finit par un dessert, il faut aussi savoir partir en beauté. Un bel épilogue.
Mais j'en parlerai une autre fois.

En attendant, portez-vous bien !
Et à la semaine prochaine !
Avec un peu de chance on parlera de TENET !

à suivre...

LA PAGE D'AVANT

Sommaire